Appropriation des installations de gares aux opérations de classement des wagons de marchandises (RGCF 1878)

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Article de M David, Ingénieur, Exploitation des chemins de fer du Midi

Figures de l’article

Introduction

Lorsqu'on soumet à une analyse rigoureuse les dépenses d'exploitation des gares de chemins de fer, on ne peut que s'étonner de la part considérable qui doit être faite aux frais de manoeuvres des wagons de marchandises. Il y a intérêt à chercher les moyens de diminuer cette grosse dépense, qui ne correspond à aucun travail utile de transport.

Cette étude amène à poser la question suivante : les gares de marchandises sont-elles munies d'installations réellement appropriées à la majeure partie des manoeuvres qu'on est contraint d'effectuer aujourd'hui?

Ces installations, consistant en longues voies parallèles coupées transversalement par des batteries de plaques tournantes, datent du début de l'exploitation des chemins de fer, et ont été tout d'abord employées dans les gares de voyageurs. Ce sont les voies spéciales dont parle M. Perdonnet dans le Portefeuille de l'ingénieur des chemins de fer (publication de 1845 à 1846) : « Il est très utile de pouvoir remiser sur les voies spéciales, entre les voies d'arrivée et de départ, des voitures de différentes espèces que l'on ajoute, suivant les besoins, aux convois. »

Ce type d'installation fut reproduit, dès l'origine, devant les quais des gares de marchandises, alors que le trafic était des plus restreints. Le but qu'on se proposait d'atteindre était encore de remiser le matériel vide, et de le tenir à portée des voies de départ et d'arrivée, comme l'indique le passage suivant d'une livraison de 1857 du Portefeuille de l'ingénieur (2ème partie) : « Les quais d'expédition et ceux d'arrivage sont presque toujours placés, de part et d'autre, le long des voies longitudinales, de façon à réduire autant que possible la manoeuvre des wagons vides. »

En résumé, en établissant de longues voies parallèles coupées par des batteries de plaques, on a créé un atelier bien approprié à sa destination primitive : faire passer d'une voie sur une autre, par le plus court chemin possible, des véhicules vides.

A ces manoeuvres fort simples est venu s'ajouter plus tard tout un ensemble d'opérations complexes et on comprend d'avance qu'en voulant effectuer ces dernières au moyen du même atelier, on n'a pu le faire qu'au prix de dépenses exagérées.

Lorsque les réseaux des voies ferrées se sont soudés les uns aux autres, lorsque de nombreux embranchements sont venus se rattacher aux lignes principales et que le trafic des marchandises a pris un développement considérable, il a fallu composer des trains de marchandises, les uns directs, les autres omnibus, avec un grand nombre de wagons chargés, introduire ces wagons dans le train suivant un ordre déterminé par leurs destinations. Aux points de bifurcation, on a dû décomposer et recomposer les trains de diverses directions.

Or, sur les longues voies parallèles dont il a été parlé et dont le nombre, pour chaque gare, est forcément restreint, comparé surtout au nombre des destinations des wagons qui y sont garés, ces véhicules ont été nécessairement embrouillés entre eux, soit lorsqu'ils ont été retirés des diverses voies de chargement de la gare, soit lorsqu'ils ont été laissés par des trains d'embranchement pour être réexpédiés. Cet embrouillement, résultant d'une manoeuvre, se traduit par une première dépense faite en pure perte.

Une fois les wagons garés pêle-mêle sur les voies de service de la gare, deux manoeuvres restent à accomplir : le triage et le classement. Le triage a pour but de dégager le wagon de la masse des véhicules à expédier, le classement conduira le wagon à la place qu'il doit occuper, d'après sa destination, dans le train que lui assigne sa direction.

Les opérations de triage ont pris de jour en jour une importance croissante. Elles s'effectuent même quelquefois dans des gares spéciales, établies à grands frais, dites gares de triage. On a d'autant plus lieu de regretter la forte dépense occasionnée en surcroît par les manoeuvres de triage elle mêmes, que celles-ci n'ont d'autre effet que de détruire l'embrouillement résultant, pour les wagons, de leur garage sur un atelier non approprié à l'opération finale et utile, le classement.

Il est donc de grande importance de rechercher une disposition de voies qui, permettant de classer les wagons sans qu'ils aient été d'abord embrouillés, dispensera de toute opération de triage.

La solution que propose l'auteur de cet article consiste à emmancher des bouts de voie, de part et d'autre, sur une longue voie dite voie centrale, servant à la formation ou à la transformation des trains.

Ces bouts de voie qui, avec la voie centrale, constituent l'atelier de classement des wagons (figure 1), sont de deux sortes : les uns, très-courts, destinés à recevoir des wagons isolés, se groupent, dix par dix, autour d'une des plaques tournantes posées sur la voie centrale, les autres, d'une longueur variable, sont soudés symétriquement par des aiguilles doubles à la voie centrale, chacun d'eux étant affecté à un lot de wagons groupés pour une même destination.

Le nombre des bouts de voie de chaque espèce variera pour chaque gare d'après les exigences ordinaires de son trafic.

Les plaques tournantes échelonnées sur la voie centrale de l'atelier de classement sont espacées de 28 mètres au moins, leur diamètre ne doit pas être inférieur à 5,60 m pour que le nombre de voies rayonnantes pouvant aboutir sans s'entrecouper sur la circonférence de la plaque soit de douze, ce qui laisse dix bouts de voie disponibles (figure 2). La longueur de ces derniers, 10 mètres environ, est déterminée par la condition de suffire au garage d'un seul wagon, la plaque restant abordable dans tous les sens lorsque les bouts de voie sont garnis de véhicules. A chaque bout de voie est assigné un numéro d'ordre qui est peint sur un poteau planté à proximité.

Ce numéro est remplacé par une lettre A, B, C., sur le poteau indicateur servant à désigner chacun des bouts de voie à aiguille. Ces derniers seront en général reliés à la voie centrale de l'atelier par des changements à trois voies espacés de 50 mètres environ. Les dispositions de ces nouvelles installations peuvent se désigner, pour ainsi dire, sur les pages du Carnet de classement (figure 3). Le tracé autographié de ce carnet, qui varie suivant l'atelier auquel il se rapporte, sera complété par des inscriptions qui permettront d'effectuer avec tout l'ordre désirable le service des expéditions de wagons, tandis qu'aujourd'hui, les wagons garés sur les longues voies parallèles, étant déplacés très-souvent par des manoeuvres qui ne les concernent pas, on ne peut, à un instant donné, savoir où ils sont placés qu'en opérant des reconnaissances sur les voies.

La page de droite du carnet est affectée aux wagons garés sur les bouts de voie rayonnants. La page de gauche aux wagons garés sur les bouts de voie à aiguille.

Les numéros autographiés sur la page de droite reproduisent, rangés dans le même ordre, les numéros assignés aux bouts de voie rayonnants. A droite et à gauche de chaque numéro ont été ménagées des cases où l'on inscrit, d'une part, la destination et, d'autre part, le numéro matricule et la lettre de série du wagon garé sur le bout de voie correspondant.

Sur la page de gauche du carnet, chaque bout de voie à aiguille est représenté par une série de cases rangées en colonne verticale, au-dessus de l'indication : Voie A, voie B, voie C. Cette indication est suivie d'un gros trait sur lequel s'inscrira le nom de la destination commune des wagons mentionnés dans les cases de la dite colonne.

Au fur et à mesure que les wagons désignés par le chef de service pour faire partie de tel ou tel train, auront été introduits dans ce train, les cases du carnet de classement dans lesquelles ils sont inscrits seront biffées par le chef de manoeuvre, de sorte que l'inspection des cases du carnet, biffées ou non biffées, donnera au chef de service toute facilité de se rendre compte, à un moment quelconque, de la situation de la gare en wagons expédiés ou restant à expédier.

Emploi de l'atelier de classement

La figure 4 montre comment l'atelier de classement peut entrer dans les installations de gare affectées aux expéditions de marchandises.

  • La disposition dont elle donne le type se compose de trois parties distinctes ou de trois catégories de bouts de voie :
    • Les bouts de voie rayonnants sont établis en face du quai MN, où s'effectuent les chargements pour les stations auxquelles la gare n'expédie ordinairement que un ou deux wagons par jour. Le quai est divisé en travées perpendiculaires à son axe, munies d'écriteaux reproduisant les noms des stations rangées dans leur ordre de succession le long de la ligne. Sur la voie qui dessert le quai on a posé des plaques tournantes ordinaires vis-à-vis des grandes plaques de la voie centrale de l'atelier et à l'extrémité des bouts de voie perpendiculaires à cette division.
    • Le quai voisin PQ, reçoit les marchandises expédiées en grande quantité à un petit nombre de gares importantes, six, par exemple; on a divisé le quai, non plus en travées transversales, mais en travées longitudinales, au nombre de trois, pour fixer les idées, la partie amont de chaque travée étant affectée aux marchandises en destination d'une gare, la partie aval aux marchandises à diriger sur une autre gare. Un certain nombre de bouts de voie à aiguille prendront place devant le quai, et l'on établira, par les aiguilles g, h, l, une double communication entre la voie du quai et la voie centrale de l'atelier de classement. Les wagons chargés pour une première gare, entre les points k et l, seront retirés par des chevaux et conduits, en empruntant la voie centrale, sur le bout de la voie d'où ils ne sortiront plus que pour entrer à la place voulue, dans le train qu'on formera sur la voie centrale; il en sera de même des wagons chargés pour une deuxième gare sur la partie lm de la voie du quai et ainsi de suite.
    • Un autre groupe de bouts de voie à aiguille pp', qq', uu', vv', plus espacés entre eux que les précédents et également soudés à la voie centrale de l'atelier de classement, est destiné à recevoir les wagons mis à la disposition des expéditeurs qui chargent eux-mêmes leurs marchandises. Chacun de ces bouts de voie reçoit les wagons à charger pour une même destination.

Les bouts de voie de ces trois catégories une fois garnis de wagons chargés, lesquels sont inscrits, comme il a été dit plus haut, sur le carnet de classement, le chef de service indiquera sur ce carnet, par un signe convenu, les bouts de voie qui doivent être dégarnis pour former le train, sans être obligé de s'en remettre, pour cette partie du service, au chef d'équipe, ce qu'il est le plus souvent contraint de faire aujourd'hui.

Le rôle du chef d'équipe se réduira à faire sortir des bouts de voie servant de garages les wagons ou lots de wagons, en se conformant à l'ordre de succession des stations destinataires. Le train se trouvera ainsi immédiatement composé sur la voie centrale de l'atelier.

Dans les gares qu'il aura à desservir, le train sera reçu sur la voie centrale de l'atelier de classement et n'aura à se mouvoir que sur cette seule voie, chaque fois qu'une coupure devra être faite à hauteur de la plaque ou de l'aiguille par laquelle le wagon ou le lot de wagons à prendre doit pénétrer sur la voie centrale.

Dans l'atelier de classement établi au point de soudure de plusieurs lignes, ou dans la gare de bifurcation, le service du train sera exactement le même.

Les wagons, soit isolés, soit groupés en lots, qui doivent changer de direction, seront retirés du train et garés sur les bouts de voie rayonnants, ou sur les bouts de voie à aiguille, affectés à la direction des wagons laissés; les wagons à prendre seront intercalés dans les coupures faites aux points voulus, la machine du train ne quittant jamais la voie centrale de l'atelier de classement.

L'atelier de classement des wagons peut également fonctionner comme atelier de triage. Un train mal composé étant amené sur la voie centrale, il suffira de le couper successivement aux points où se trouvent des wagons irrégulièrement placés, et de faire passer ces wagons sur les bouts de voie de l'atelier.

Au moyen de la machine du train, on pratiquera ensuite de nouvelles coupures aux points où les wagons en question doivent prendre leur place régulière, les coupures étant faites à hauteur des aiguilles ou des plaques par lesquelles les véhicules, groupés ou non, doivent être ramenés sur la voie centrale.

Des expériences faites sur l'atelier de classement établi à la gare de Bordeaux-Saint-Jean, ont démontré que les manoeuvres effectuées au moyen de cette nouvelle installation, n'atteignent pas à la moitié du prix de revient actuel des mêmes manoeuvres.

Cet abaissement de prix serait encore plus notable, si l'on tenait rigoureusement compte des pertes de temps qu'entraîne l'emploi d'une machine de manoeuvre (et quelquefois de plusieurs machines de manoeuvre) dans une gare.

Les exigences de la sécurité de la circulation sur les voies, et d'autres circonstances particulières, ne permettent pas à la machine d'être sans cesse utilisée. Pendant ses arrêts, elle dépense sans produire, et condamne à l'inaction un certain nombre d'agents.

D'un autre côté, on conçoit que les wagons garés pêle-mêle sur plusieurs voies parallèles, et devant entrer dans des trains de diverses directions, ne peuvent pas toujours être l'objet de manoeuvres très-méthodiques. On doit aussi procéder à la reconnaissance des destinations des véhicules pour chaque voie de garage, quelquefois même à la recherche des wagons dont les comptabilités font remarquer l'absence; cette somme de temps perdu pour divers motifs s'ajoute encore aux dépenses des manoeuvres. En portant exactement à leur compte les traitements des agents qui y sont employés (chef d'équipe, hommes d'équipe, aiguilleurs), les journées des chevaux et de leurs conducteurs, les factures du service de la traction, et en divisant la somme totale, pour une gare donnée et pour un temps déterminé, par le nombre de tonnes que la gare a reçues et expédiées dans le même temps, on se fera une idée assez nette de la cherté des manoeuvres usitées aujourd'hui, sans arriver toutefois à l'évaluation exacte de cette dépense.

En effet, outre les frais d'une estimation facile, il faudrait tenir compte de l'usure des voies, des aiguilles, des plaques tournantes sur lesquelles s'effectuent les allées et les venues sans nombre de la machine de manoeuvre et des wagons remorqués, de l'usure du matériel roulant et des avaries que subissent quelquefois les marchandises et même les wagons.

Une grande partie du total des frais de manoeuvre disparaît avec l'emploi de l'atelier de classement des wagons, installation qui, tout en facilitant l'ordre et la méthode dans le service, met les wagons à l'abri de tout embrouillement comme de toute opération de triage, les affranchit de tout mouvement ne les concernant pas et leur fournit des garages aussi rapprochés que possible, soit de leur point de chargement, soit de la place qu'ils doivent prendre sur la voie de transformation du train.