Les Chemins de fer stratégiques de campagne pendant la guerre de 1914-1918 (RGCF septembre à décembre 1919), Par M. R. Godfernaux, Ingénieur des Arts et Manufactures

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Les chemins de fer stratégiques de campagne sont parfaitement indépendants du Midi et, sticto sensus, n’ont rien à voir avec WikiMidi. Cependant, pour comprendre le fonctionnement des grands réseaux pendant la guerre de 1914-1918, il est indispensable de comprendre la structure, la composition et le fonctionnement des chemins de fer stratégiques de campagne. C’est à ce titre que cet article de la RGCF est inclus dans WikiMidi.

Documents

Introduction

Pendant la guerre, les chemins de fer eurent à jouer un rôle particulièrement important. Nous n'avons pas l'intention de parler des chemins de fer à voie normale car, les services qu'ils ont rendus ont été mis en évidence dans l'étude intitulée : Les Chemins de fer pendant la guerre 1914-1918, parue dernièrement dans la« Revue Générale » de Septembre 1919.

Le but de la présente note est d'exposer le rôle moins connu des chemins de fer stratégiques de campagne, à voie étroite. Cet organisme n'était pas nouveau. Il avait été déjà employé .avec succès par notre corps expéditionnaire de Tunisie, par les armées anglaises en Afghanistan, par les troupes russes dans leur campagne du Caucase. Enfin, un réseau de voies Decauville à écartement de 60 centimètres, d'environ 500 kilomètres, avait été construit par le Génie pour le ravitaillement du corps expéditionnaire du Maroc, mais jamais un emploi aussi grand n'en avait été fait que pendant la dernière guerre.

Il répondait à un impérieux besoin et aucun autre mode de transport n'a pu lui être entièrement substitué. Le problème du ravitaillement des armées en campagne a toujours été particulièrement délicat à résoudre.

Autrefois on se servait de voitures, à traction hippomobile, mais si on considère l'importance des masses mises en action, la quantité de vivres nécessaires, leur variété indispensable pour des armées nationales, moins capables que des armées de métier de supporter les fatigues d'une guerre aussi longue et aussi pénible, si l'on ajoute les quantités énormes de munitions consommées par les armes à tir rapide, on se .rend vite compte que ces moyens de transport primitifs n'auraient jamais pu satisfaire seuls au besoin des armées.

Un autre mode de locomotion a été employé aussi dans une très large mesure, nous voulons parler des camions automobiles : mais sans prétendre diminuer en rien l'importance des services rendus par les convois automobiles, on est forcé de reconnaître qu'ils étaient incapables, par eux-mêmes, d'assurer complètement un pareil service d'une manière très efficace, et l'importance du matériel employé et constamment mis en fabrication pendant toute la durée de la guerre, montre combien ce mode de transport répondait à ce qu'on en attendait.

En somme, tous les moyens ont été employés. Tous ont présenté des avantages et des inconvénients, mais le chemin de fer à voie étroite a été incontestablement celui qui a rendu d'une manière générale les plus grands services dans la zone des armées combattantes.

Les chemins de fer à voie normale permettent un trafic plus intense, mais les travaux nécessités par la construction de nouvelles lignes ou les réparations de lignes détruites, demandent un personnel très important et un temps souvent trop long. De plus, il est difficile de les dissimuler aux vues de l'ennemi.

Les principes adoptés dans la construction des voies normales en temps de paix, ne peuvent pas être tous abandonnés. Il est nécessaire par exemple de conserver un minimum pour les rayons des courbes. Ceci conduit à faire des études sérieuses sur le terrain. Le tracé devant répondre à des conditions bien déterminées, il n'est pas toujours possible d'éviter les terrassements importants et les ouvrages d'arts.

Toutes ces difficultés ne peuvent être surmontées qu'avec le temps et un nombreux personnel. Or le temps est un facteur qu'on a toujours, en guerre, intérêt à réduire au minimum.

Enfin les voies normales, par leur importance même, devaient être particulièrement visées par l'ennemi. Leur vulnérabilité, le temps nécessaire à leur réparation, la gêne causée par leur destruction, en faisaient un objectif tout désigné pour l'artillerie à longue portée et l'aviation de bombardement.

Il n'était donc pas possible de les établir à proximité des combattants et il ne fallait surtout pas compter sur elle en cas de poursuite.

Par contre, les convois automobiles peuvent relier les chemins de fer à voie normale et les troupes.

Leur parcours peut être constamment modifié, mais il leur faut des routes, sinon excellentes, du moins dans un état de viabilité difficile à obtenir au voisinage de l'ennemi et impossible à réaliser quand battant en retraite, il les détruit systématiquement.

Certes, les convois automobiles peuvent rendre et ont rendu d'immenses services, en particulier, dans les premiers temps de l'offensive sur Verdun, où ils ont presque seuls assuré un ravitaillement très important. Le service a été d'une dureté sans égale et il eut été peut-être périlleux de prolonger plus longtemps l'effort formidable qui a été réalisé là.

Les routes défoncées n'ont pu conserver un certain caractère de viabilité que grâce à des équipes considérables de territoriaux qui les rechargeaient sans arrêt. Si l'on compte en plus les hommes occupés à extraire et casser la pierre nécessaire, on voit que des effectifs élevés ont été employés à ces travaux et n'ont pu figurer dans les troupes combattantes.

Enfin le matériel automobile est d'un prix très élevé, chaque camion ne transporte qu'une charge relativement faible, de plus son usure est assez rapide.

Pourtant, malgré ses défauts, il faut reconnaître les services signalés qu'il a rendus, en particuliers pour le transport rapide de troupes sur les points attaqués à l'improviste. Mais il était incapable d'assurer seul le ravitaillement des troupes.

Les chemins de fer stratégiques de campagne à voie étroite ont permis dans une large mesure de résoudre ce problème difficile

Grâce au faible écartement de la voie, 60 centimètres, et à l'adoption d'un matériel de dimensions réduites, on a pu prendre comme limite des rayons de 30 mètres pour les courbes, et comme il ne s'agissait pas de faire une exploitation économique, on s'est montré parfois moins exigeant dans la limitation de l'inclinaison des rampes. De ce fait, le tracé pouvait serpenter à travers les obstacles, on évitait les terrassements le plus possible, si bien que, dans certains cas, ils se réduisaient à rien. Les études étaient peu importantes et souvent une reconnaissance sur le terrain était suffisante. Bien souvent les voies furent placées sur les accotements des routes.

Enfin, comme le matériel de voie était constitué par des éléments rivés, largement approvisionnés, il suffisait de les poser les uns au bout des autres sur un terrain rapidement égalisé, et d'en assurer l'éclissage, un ballastage sommaire, infiniment moins important que celui qu'aurait nécessité une voie normale, terminait les travaux de pose.

Ces éléments légers étaient facilement maniables. Le matériel réduit correspondant, permettait pourtant un trafic important. Les wagons beaucoup moins encombrants que ceux des grandes compagnies, portaient cependant au moins 10 tonnes.

Les chemins de fer stratégiques de campagne eurent donc pour mission de prendre, dans les gares des chemins de fer à voie normale et d'amener dans le voisinage immédiat des combattants, les approvisionnements de toute nature, dont le tonnage fut considérable. Enfin, dans la poursuite, quand toutes les routes et les voies normales furent méthodiquement détruites par l'ennemi en retraite, ils permirent, mieux que tout autre moyen de transport, d'assurer la progression rapide des dépôts de vivres et de munitions, faute desquels nos troupes victorieuses auraient dû subir des stationnements prolongés.

Bien entendu, on avait déjà préparé depuis longtemps un matériel important de ce genre, mais cette guerre qui s'est présentée sous les aspects tout nouveaux, a conduit à le transformer considérablement, et à modifier dans une assez large mesure, la conception que l'on se faisait des chemins de fer à voie étroite utilisés par l'armée.

Avant la guerre, leur rôle semblait limité au service des places fortes et au transport des lourdes charges. Dans la suite on a été conduit à lui confier une grande partie des ravitaillements.

A ce service nouveau devait répondre un matériel nouveau. Nous allons décrire d'abord le matériel créé vers 1888, puis celui créé pendant la guerre.

Matériel Péchot Bourdon

Avant la guerre, l'artillerie possédait un matériel de chemins de fer à voie étroite spécialement destiné au service des places fortes et entrant dans la composition du matériel de siège.

Lors de l'apparition des nouveaux explosifs, on avait reconnu qu'il était difficile de maintenir, sous le feu des pièces lourdes ennemies, une batterie repérée. Il était nécessaire de pouvoir la déplacer sans trop de peines. De plus, en prévision d'une attaque particulièrement violente sur un des secteurs d'une place forte, il était utile de pouvoir en augmenter assez rapidement les moyens de défense.

Il fallait donc, pour ces batteries, une certaine mobilité, malgré les poids considérables qu'on rencontrait dans l'artillerie de place.

Autrefois, ces déplacements étaient obtenus au moyen de chariots spéciaux à traction hippomobile, qui exigeaient l'entretien de chevaux en assez grand nombre et un approvisionnement de fourrages très considérables.

Le Colonel Pechot, alors capitaine, eut l'idée de substituer à ce mode de transport, les chemins de fer portatifs à voie étroite dont l'usage se répandait dans l'industrie, les travaux publics, l'agriculture. Mais en raison du poids considérable du matériel à déplacer, il devenait indispensable d'étudier un matériel plus approprié aux services spéciaux qu'on en attendait.

C'est ainsi qu'il créa, en collaboration avec M. Bourdon, Ingénieur Professeur à l'École Centrale un matériel, auquel furent apportés successivement différents perfectionnements reconnus nécessaires par l'expérience. Ce matériel est le suivant :

Voie

La voie devant supporter de lourdes charges, exigeait une solidité particulière, mais, comme elle devait être posée rapidement à bras d'hommes, les éléments devaient être suffisamment légers pour être maniables. On s'est donc imposé un poids de voie limité, auquel correspondait un poids maximum par essieu. Il suffisait donc de transporter une charge sur des wagonnets ayant un nombre d'essieux correspondant à la force portative de la voie. Cette force fut limitée à 3 500 kg par essieu. Enfin cette voie devait être utilisable à tous moments.

La voie adoptée fut donc du type rivé, en éléments préparés à l'avance et dont les places fortes devaient être largement approvisionnées.

Un élément de voie était constitué par deux rails de 9,500 kg (figure 1) et d'une longueur de 5 mètres, rivés sur 8 traverses en U de 140 x 29 (figures 2 et 3) débordantes et fermées aux extrémités par emboutissage.

La longueur des traverses était de 4,094 m et les bords emboutis étaient rabattus verticalement. Elles avaient une forme de boîte renversée. Elles s'encastraient facilement dans le terrain. De plus, les éléments de voies étant fréquemment entassés dans les parcs les traverses étaient percées aux deux extrémités, d'un trou d'écoulement empêchant l'eau de pluie de séjourner dans les traverses des éléments retournés. Des éclisses à 4 trous assuraient la jonction des éléments entre eux et étaient fixées au moyen de boulons d'éclisse dont la tête à chapeau de gendarme, entrait dans une rainure spéciale des éclisses. Un élément de 5 mètres de voie de ce type pesait 167 kg soit 33,400 kg au mètre. Il pouvait être placé facilement par 4 hommes qui n'avaient donc à porter qu'une charge de 42 kg environ. Ce poids ne pouvait guère être dépassé si l'on considère que ces manutentions pouvaient se faire pendant un temps assez long.

Les voies étaient posées à l'avancement et amenées à pied d'oeuvre sur des wagonnets roulant sur la voie déjà établie.

Pour faciliter la pose de la voie, on avait prévu de plus des éléments droits de longueur plus courte et adopté les longueurs de 2,50 m (sur 5 traverses), l,25 m (sur 3 traverses).

Enfin pour les courbes on avait du considérer que dans la voie courante il était nécessaire de prévoir le passage des locomotives, tandis qu'au voisinage des batteries elles-mêmes, les manoeuvres se faisant à bras, il suffisait de donner aux courbes des rayons permettant le passage des wagons, et aussi faibles que possible pour faciliter l'arrivée du matériel sur l'emplacement même des pièces.

  • On avait donc adopté les rayons suivants :
    • 7,63 m pour les voies d'accès aux batteries,
    • 20 m, 30 m, 50 m, 100 m et 200 m pour les voies sur lesquelles la traction devait se faire par locomotives.

Comme pour la voie droite, la voie courbe avait été prévue en éléments de 5 mètres, 2,50 m et l,25 m, pour le service des locomotives, mais 2,50 m et 1,25 m seulement pour les voies au rayon de 7,63 m.

La pose de ces voies devant pouvoir se faire même la nuit, il était indispensable de munir les différents types d'éléments de voies, de signes distinctifs facilement reconnaissables. Pour la longueur, cela n'était pas nécessaire, mais pour les courbes, le rayon fut marqué sur la première traverse de chaque bout, par emboutissage à chaud. Les chiffres en relief se lisaient au toucher.

L'absence d'indications de ce genre permettait de reconnaître les éléments droits.

Autour des places fortes, certaines de ces voies étaient posées à poste fixe et aux traversées de routes. Elles devaient comporter des contre-rails. Le rail adopté pour ces voies, a été le rail de 7 kg ayant la même hauteur que le rail de 9,500 kg de la voie courante (figures 4 et 5).

L'élément droit de 5 mètres avec contre-rails de 7 kg pesait 237 kg Chaque homme avait donc à porter, exceptionnellement, 60 kg environ.

Appareils de changement de voie

Pour compléter le matériel de voie, on avait prévu la construction d'appareils de changement de voie. Ces appareils de changement de voie comportaient une voie droite et une voie courbe déviant à droite ou une voie courbe déviant à gauche.

Les locomotives devant circuler sur ces appareils, on avait adopté le changement de voie (déviation à droite ou à gauche) au rayon de 20 mètres pesant environ 510 kg et construit en deux pièces et le changement de voie (déviation à droite ou à gauche) au rayon de 30 mètres pesant environ 615 kg et construit en trois pièces.

Ces mêmes appareils étaient prévus également avec contre-rails de 9,500 kg, identique au rail de la voie courante et, dans ce cas, le changement de voie au rayon 20 mètres pesait 710 kg et était en deux pièces, le changement de voie au rayon 30 mètres pesait 830 kg et était en trois pièces.

Tous les aiguillages étaient munis de mouvement de manoeuvres de construction analogue à ceux de la voie normale, mais le levier de commande à contrepoids était monté sur une boîte en fonte fixée elle-même sur une traverse spéciale allongée, fixé à l'appareil de changement de voie.

Comme pour les voies courbes, le rayon de courbure des appareils de changement de voie était marqué en relief par emboutissage à chaud, ainsi que les lettres G ou D indiquant le sens de la déviation.

Tout ce matériel était donc facilement transportable, condition indispensable à une pose rapide. A ce point de vue les résultats étaient d'autant plus satisfaisants que les équipes militaires exécutant des travaux de ce genre étaient mieux exercées.

Plaques tournantes

Dans les batteries elles-mêmes et quand les manoeuvres ne se faisaient plus par locomotives, on ne se servait pas d'appareils de changement de voie, mais de plaques tournantes. Elles étaient de deux types différents, suivant la force portative et l'empattement des essieux extrêmes des wagons qu'elles devaient permettre de manoeuvrer.

Le premier type avait un plateau de 1,30 m de diamètre et la force portative de la plaque était de 9 tonnes. Il servait à la manoeuvre des wagons à 2 ou 3 essieux.

Le deuxième type avait un plateau de 1,70m , pour une force portative de 12 tonnes et servait à la manoeuvre des wagons à 4 essieux.

Elles étaient constituées par un dessous de plaque en tôle de forme octogonale et d'un plateau rond en tôle muni de chemins de roulement, pour les wagonnets, constitués par des rails en fer carré. Les plaques étaient munies d'un axe de centrage et la rotation du plateau était assurée par un système de galets roulant sur des chemins de roulement fixés sur le dessous de plaque.

Ces plaques pouvaient être installées à poste fixe dans la voie courante, leur, saillie au-dessus du sol était identique à celle de la voie.

Elles pouvaient également être utilisées en un point quelconque de la voie, courante, sans la couper, au moyen d'un dispositif spécial appelé dérailleur, et constitué par une paire de lames en acier, ayant à une extrémité même hauteur que le rail de 9,500 m et décroissant vers l'autre extrémité qui se terminait en forme d'aiguille. Ces deux lames étaient fixées sur des traverses en acier plat. Elles formaient plan incliné et permettaient l'accès des wagonnets sur.les plaques tournantes. Elles avaient l'aspect des rails d'entrée de chariots transbordeurs.

Pour utiliser ce dispositif, on plaçait une plaque tournante en un point quelconque de la voie, avec deux dérailleurs, l'un à l'entrée, l'autre à la sortie de la plaque; un troisième dérailleur raccordait la plaque tournante avec la voie secondaire, perpendiculaire à la voie principale, desservant spécialement la batterie.

Wagons

Dans l'étude des wagons on avait surtout envisagé le transport des pièces lourdes, canons, affûts, etc en usage dans le matériel de place ou de siège.

Il était donc nécessaire, tout en ayant un matériel de dimensions réduites, de le construire de telle façon qu'il puisse facilement supporter ces lourdes charges, et circuler sur les voies sans crainte de déraillement malgré les faibles dénivellations que ces voies pouvaient présenter.

Il fallait de plus, que les charges soient très également réparties sur tous les essieux, afin de porter des charges les plus lourdes possible, sans cependant dépasser en aucun point la charge limite par essieu que pouvait supporter la voie.

  • Trois types «de wagons furent adoptés :
    • Le wagon à deux essieux, force: 5 tonnes (figure 6),
    • Le wagon à trois essieux, force: 9 tonnes,
    • Le wagon à quatre essieux, force: 12 tonnes.

La charge étant également répartie, ne dépassait jamais la force portative de la voie qui était limitée à 3 500 kg par essieu.

Pour supporter des charges plus lourdes, il suffisait d'étudier un matériel spécial permettant d'accoupler deux ou quatre wagons d'un des types ci-dessus, et assurant la parfaite répartition des charges.

Ce matériel spécial était constitué par des traverses ou supports pivotants et des châssis communs.

Le poids d'une charge étant connu, il suffisait de la poser par ses deux extrémités sur deux supports pivotants, de force appropriée et de les faire porter, eux-mêmes, par un nombre d'essieux suffisant. Si un wagon ne permettait pas de porter la moitié de la charge on en mettait deux et le support pivotant reposait sur ce groupe de deux wagons rendus solidaires par l'adjonction d'un châssis commun s'appuyant sur les deux wagonnets et portant lui-même le support pivotant sur lequel reposait une des extrémités de la charge.

  • On avait donc été conduit à prévoir la construction de supports pivotants et de châssis communs, de forces différentes, permettant l'utilisation complète du matériel.
    • Deux wagons, force : 5 tonnes, munis chacun d'un support pivotant, force : 5 tonnes, permettaient le transport d'une charge de 10 tonnes,
    • Deux wagons, force : 9 tonnes, munis chacun d'un support pivotant, force : 9 tonnes, permettaient le transport d'une charge de 18 tonnes,
    • Quatre wagons, force : 9 tonnes, pouvaient porter : 36 tonnes, en constituant l'équipement de la manière suivante :
    • Deux wagons, force : 9 tonnes recevaient un châssis commun, force : 18 tonnes, sur lequel était placé un support pivotant, force : 18 tonnes (figure 7). Deux groupes semblables placés aux deux extrémités de la charge permettaient de porter 36 tonnes.
  • Pour les wagons, force : 12 tonnes, des dispositifs analogues étaient prévus et donnaient lieu aux combinaisons suivantes :
    • Deux wagons, force: 12 tonnes, avec deux supports pivotants, force : 12 tonnes, portaient 24 tonnes,
    • Quatre wagons, force : 12 tonnes, deux châssis communs, force : 24 tonnes et deux supports pivotants, force : 24 tonnes, permettaient le transport de pièces ne dépassant pas 48 tonnes (figure 8).

Enfin, pour assurer un écartement rigide des wagons ou groupe de wagons, les supports pivotants d'un même équipement, étaient réunis par des barres d'écartement constituées par deux tubes d'acier glissant l'un dans l'autre à frottement doux et percés à certains endroits de trous rectangulaires servant de logement à des clavettes et permettant de donner aux barres d'écartement, des longueurs différentes suivant la longueur des pièces à transporter.

Chaque tube était muni à son extrémité libre, d'une main d'accrochage venant se poser dans un crochet spécial fixé sur les supports pivotants.

Ces barres étaient de deux types, l'un court, l'autre long. Une seule barre était utilisée quand la pièce à transporter n'était pas volumineuse, un canon par exemple. On en employait deux dans le cas contraire, un affut par exemple et, dans ce cas, la pièce descendait entre les deux barres d'écartement.

Ces combinaisons permettaient le transport des pièces lourdes. Restait à assurer le transport des munitions et du matériel léger. Ceci était obtenu au moyen de plateformes surbaissées, force : 10 tonnes, portées par deux wagons, force : 5 tonnes, à 2 essieux (figure 9).

Dans tous les cas, le poids maximum de 3 500 kg par essieu n'était jamais dépassé.

Les wagons étaient constitués par un châssis en tôles et cornières, avec traverses de tête arrondies et traverses intermédiaires supportant le pivot central recevant à volonté le châssis commun ou le support pivotant.

Une tôle fermait complètement la partie supérieure du châssis et recevait un chemin de roulement soigneusement tourné après rivetage complet du châssis.

Ce châssis reposait sur les essieux au moyen de boîtes à huile à coussinets en bronze à rotule et la suspension comportait un jeu de ressort avec balanciers assurant la parfaite répartition des charges.

L'attelage se faisait dans les wagons à deux essieux au moyen de deux tiges à tulipe formant à la fois attelage et tamponnement et articulées dans l'axe du pivot. Elles étaient rappelées dans leur position normale par des ressorts à boudin disposés de part et d'autre de chaque tige.

Pour assurer l'interchangeabilité des pièces, les attelages étaient identiques pour les trois types de wagons, mais pour les wagons à 3 ou 4 essieux, qui étaient plus longs, l'articulation des barres d'attelage, ne se faisait plus à l'axe du pivot.

Enfin, chaque wagon était muni d'un frein à main puissant commandé au moyen d'un volant, par un homme monté sur le wagon lui-même dans le cas de traction par locomotive, ou par un petit levier à cliquet disposé sur une boîte d'engrenages dans les autres cas.

Locomotives

La locomotive complétant ce matériel fut étudiée plus particulièrement par M. Bourdon. Elle ne devait pas peser plus de 1 500 kg par essieu, avoir un poids adhérent suffisant pour assurer le remorquage des lourdes charges dont nous avons parlé ci-dessus et enfin, permettre le passage facile dans les courbes de 20 mètres de rayon minimum adopté pour la voie.

La locomotive fut du type Fairlie (voir RGCF août 1880 et novembre 1886). Elle possédait donc une chaudière unique à double faisceau tubulaire, avec boite à feu centrale. Pour assurer un tirage égal dans les deux faisceaux tubulaires, la boite à feu unique comportait un foyer double. Comme elle, était placée au milieu du corps cylindrique, le ciel du foyer était toujours couvert d'eau même dans les fortes rampes. Par contre les grilles présentaient une faible surface et la chauffe devenait plus difficile.

Cette disposition présentait donc, des inconvénients mais ils étaient compensés par des avantages importants.

La chaudière reposait sur un châssis muni de deux trucks articulés à deux essieux chacun. Le faible empâtement rigide obtenu grâce au petit écartement des deux essieux d'un même truck, assurait le passage facile dans les courbes de 20 mètres de rayon.

La machine devant franchir des rampes d'inclinaison importante, il était nécessaire, à cause de sa longueur, de prévoir, pour l'entrée en rampes, une articulation spéciale de la partie supérieure des pivots de trucks. Ceci fut obtenu en interposant des rondelles de caoutchouc entre les surfaces d'appui du truck et du châssis. Les deux trucks étaient munis chacun de deux cylindres à simple expansion.

La distribution était du type Walschaert.

La mise en marche se faisait au moyen de deux leviers qui grâce à un dispositif spécial pouvaient être rendus solidaires et permettre l'admission de la vapeur dans les quatre cylindres, ou indépendants et permettre l'admission dans l'un des deux groupes à volonté, si l'autre venait à être rendu inutilisable par une circonstance quelconque.

A droite et à gauche de la boîte à feu, étaient réservés deux emplacements, l'un pour le chauffeur, l'autre pour le mécanicien.

  • Les caractéristiques de cette machine étaient les suivantes :
    • Poids à vide : 9 500 kg,
    • Poids en charge : 12 300 kg,
    • Pression de la vapeur dans la chaudière : 12 kg
    • Diamètre des cylindres : 175 mm,
    • Course des pistons : 240 mm,
    • Diamètre des roues motrices ou accouplées :650 mm,
    • Surface des grilles : 0,48 m2,
    • Surface de chauffe du foyer : 3,55 m2,
    • Surface de chauffe des tubes : 22,05 m2,
    • Surface de chauffe totale : 25,65 m2,
    • Empattement rigide : 850 mm,
    • Empattement totale 3800 mm,
    • Capacité des soutes à eau : 1 700 litres,
    • Capacité des soutes à charbon : 600 kg,
    • Vitesse correspondant au maximum d'effort de traction : 10,30 km/h,
    • Vitesse de régime : 15,500 km/h,
    • Parcours en kilomètres avec approvisionnement complet : 22,500 km.
  • Les charges remorquées étaient les suivantes :
    • rampe de 0 mm par m : 342 t,
    • rampe de 5 mm par m : 165 t,
    • rampe de 10 mm par m : 106 t,
    • rampe de 15 mm par m : 82 t,
    • rampe de 20 mm par m : 58 t,
    • rampe de 25 mm par m : 48 t,
    • rampe de 30 mm par m : 38 t,
    • rampe de 40 mm par m : 27 t,
    • rampe de 50 mm par m : 20 t,
    • rampe de 60 mm par m : 15 t,
    • rampe de 80 mm par m : 8 t,
    • rampe de 100 mm par m : 5 t.

Ce matériel, tout à fait spécial, puisqu'il ne devait servir en principe que pour l'artillerie de place ou de siège, était d'une construction difficile et devait être particulièrement soignée. En conséquence, son prix était relativement très élevé. Le temps nécessaire à sa construction était important. En plus, ce matériel étant assez compliqué, la place réservée à chaque pièce était très réduite et il n'était pas possible d'en modifier les dimensions. Cela était vrai également pour les profilés dont il était indispensable de respecter les types, sans risquer de se trouver en présence d'impossibilités de montage.

Matériel construit pendant la guerre

La guerre de mouvement s'étant rapidement transformée en guerre de position, il devint nécessaire de monter les batteries lourdes sur leurs emplacements et d'approvisionner toute l'armée en vivres et en munitions. Le matériel construit avant la guerre fut immédiatement utilisé, mais on se rendit compte bientôt qu'il était en quantité absolument insuffisante.

Lorsque le matériel nécessaire fut commandé à l'industrie on eut à vaincre des difficultés et de l'impossibilité où se trouvait la métallurgie privée d'importantes aciéries du Nord et de l'Est, de fournir exactement les profilés nécessaires à la construction du matériel Péchot. On fut donc obligé d'accepter les modifications que l'état de guerre imposait.

Voies, Croisements

Pour le matériel fixe, on n'eut aucune modification à faire et le matériel commandé fut exécuté exactement comme avant.

Wagons

Pour les wagons, des modifications importantes furent apportées. Pour les pièces lourdes, on se servit du matériel existant, mais pour l'approvisionnement général des armées, on mit en fabrication un matériel nouveau qui devait remplacer seulement les wagons à 2 essieux, force 5 tonnes. Les nouveaux wagons n'ayant plus à assurer un service exceptionnel, mais au contraire un service tout à fait normal, abstraction faite de la nature du matériel transporté, le genre de construction compliqué long et coûteux qui pouvait s'appliquer pour le matériel Péchot, n'avait plus sa raison d'être. Il fut donc abandonné, d'autant plus que l'état de guerre, rendait l'approvisionnement des matières premières et la construction plus difficiles encore.

Toutefois, tous les organes de l'ancien matériel dont la fabrication n'entraînait pas de difficultés spéciales, furent conservés et leur emploi fut prévu dans l'étude du nouveau matériel pour utiliser les mêmes pièces de rechange.

Le châssis des nouveaux wagons fut constitué par un cadre en fer à U soigneusement entretoisé recouvert d'une tôle et d'un cercle de roulement. Sur ce châssis est monté un système de pivot et des attelages identiques à ceux de l'ancien matériel. Les boîtes à huile sont différentes et la suspension assurée par des ressorts à boudin interposés entre le châssis et les oreilles des boîtes à huile. Le frein fut modifié également, dans ses détails de construction, mais reste du type à vis avec manoeuvre verticale par volant commandé d'une plateforme constituée par un allongement du châssis.

Ces trucks sont d'une force portative de 5 tonnes comme les wagons d'avant guerre à deux essieux (figure 10).

On y peut disposer des supports pivotants du type d'avant guerre et se servir également des anciennes barres d'écartement (figure 11).

Ces trucks peuvent recevoir des plateformes à côtés retombant permettant le transport de 10 tonnes de marchandises diverses : obus d'artillerie lourde, caisses de cartouches, vivres, outillage de toute nature (figures 12, 13 et 14). Enfin ils peuvent porter des citernes d'une capacité de 8 000 litres, permettant le ravitaillement en eau de certaines zones (figures 15, 16 et 17).

Ce matériel, à quelques détails près, permettant d'utiliser certaines pièces du matériel d'avant-guerre, correspond au matériel fabriqué par la Société Decauville pour les chemins de fer construits au Maroc par le Génie pour le ravitaillement des troupes et qui avait fait ses preuves.

Locomotives

Les difficultés d'approvisionnement rendirent également impossible la fabrication en grande quantité des locomotives Péchot - Bourdon. On fut donc amené à adopter une machine à 3 essieux couplés de 8 tonnes « Type Decauville » (figure 18) dont un certain nombre était en construction pour le Maroc. La construction en fût poussée activement.

  • Les caractéristiques de ces machines sont les suivantes :
    • Poids à vide 8 t,
    • Poids en charge : 10,5 t,
    • Surface de Grille : 0,36 m2,
    • Surface de chauffe du foyer : 2,30 m2,
    • Surface de chauffe des tubes : 15,05 m2,
    • Surface de chauffe totale : 17,35 m2,
    • Timbre de la chaudière : 12,5 kg,
    • Longueur : 4,350 m,
    • Largeur : 1,620 m,
    • Hauteur : 2,600 m,
    • Diamètre des cylindres : 215 mm,
    • Course des pistons : 280 mm,
    • Diamètre des roues au roulement : 600 mm,
    • Distribution : système Walschaert,
    • Nombre d'essieux couplés : 3,
    • Empattement entre essieux : 0,700 m,
    • Volume d'eau dans les soutes : 1 150 litres,
    • Charbon dans les soutes : 600 kg.

Cette machine peut circuler facilement dans des courbes de 20 mètres de rayon.

Pour faciliter le passage en courbe, les bandages de l'essieu du milieu n'ont pas de boudin.

  • Ces machines peuvent remorquer à une vitesse de 8 km/h les charges suivantes :
    • rampe de 0 mm par m : 169 t,
    • rampe de 5 mm par m : 108 t,
    • rampe de 10 mm par m : 79 t,
    • rampe de 15 mm par m : 62 t,
    • rampe de 20 mm par m : 49 t,
    • rampe de 25 mm par m : 41 t,
    • rampe de 30 mm par m : 35 t,
    • rampe de 35 mm par m : 30 t,
    • rampe de 40 mm par m : 26 t,
    • rampe de 50 mm par m : 19 t,

Enfin dans la région de Toul, particulièrement accidentée, on mit en service une locomotive à tender séparé « Type Decauville » spécialement étudiée pour les chemins de fer marocains, pesant 16 tonnes à vide et 18 tonnes en charge (figure 19).

Elle a l'aspect d'une machine Mallet, mais les quatre cylindres sont à simple expansion. Ce système avait été adopté parce que d'abord la valeur professionnelle du personnel du Maroc n'était pas suffisante pour assurer dans de bonnes conditions la conduite d'une machine Compound et ensuite parce que les nécessités du service obligeaient à des arrêts fréquents suivis de démarrages à pleine admission rendant illusoire la réalisation des avantages qu'on aurait pu attendre du compoundage.

Cette machine devant circuler sur des voies d'artillerie incapables de porter plus de 3 500 kg et remorquer une charge aussi forte, que possible, elle fut placée sur 6 essieux, divisés en deux groupes moteurs de 3 essieux chacun.

La distribution est du système Walschaert. La commande de changement de marche, est à vis double permettant, soit la manoeuvre indépendante de l'un ou l'autre des deux mouvements, soit leur manoeuvre simultanée, utilisant en cela une disposition heureuse de la machine Péchot - Bourdon.

  • Les caractéristiques de cette machine sont les suivantes :
    • Poids à vide de la machine : 16 t
    • Poids en charge de la machine : 18 t
    • Poids à vide du tender : 5 t
    • Poids en charge du tender : 12 t
    • Gabarit sans tampons :
      • Machine :
        • Longueur : 6,930 m
        • Largeur : 1,920 m
        • Hauteur : 2,760 m
      • Tender :
        • Longueur : 4,390 m
        • Largeur : 1,850 m
        • Hauteur : 2,100 m
      • Longueur totale : 11,320 m
    • Surface de grille : 0,90 m2
    • Surface de chauffe :
      • Du foyer : 4,50 m2
      • Des tubes : 35,00 m2
      • Totale : 39,50 m2
    • Timbre de la chaudière : 12,500 kg
    • Diamètre des cylindres : 215 mm
    • Course des pistons : 280 mm
    • Diamètre des roues au roulement : 600 mm
    • Empattement rigide des essieux : 0,950 m
    • Empâtement total des essieux de la machine : 4,105 m
    • Nombre d'essieux du tender : 4
    • Empattement rigide des essieux du tender : 0,950 m
    • Empattement total des essieux du tender : 3,250 m
    • Volume d'eau dans les soutes du tender : 5 500 litres
    • Contenance des soutes à charbon : 1 000 kg
  • Ces machines peuvent remorquer à une vitesse de 10 km/h les charges suivantes :
    • rampe de 0 mm par m : 297 t,
    • rampe de 5 mm par m : 188 t,
    • rampe de 10 mm par m : 133 t,
    • rampe de 15 mm par m : 101 t,
    • rampe de 20 mm par m : 79 t,
    • rampe de 25 mm par m : 63,5 t,
    • rampe de 30 mm par m : 51,8 t,
    • rampe de 35 mm par m : 42,7 t,
    • rampe de 40 mm par m : 35 t,
    • rampe de 50 mm par m : 24,5 t,

Aux essais cette machine a passé très facilement dans un ensemble de courbes et contre courbes ayant 25 m de rayon sans interposition d'alignements droits. Son centre de gravité se trouve à 0,80 m environ au-dessus du niveau du rail.

Enfin, furent également employées quelques machines Kerr-Stuart à 3 essieux couplés de 9,5 t à vide et quelques machines Baldwin du même type de 12 t à vide. Ces deux derniers types, trop lourds, fatiguaient beaucoup les voies.

  • Ces locomotives à vapeur, trop visibles à de faibles distances, en raison de la fumée qu'elles dégagent, ne pouvaient être employées à proximité de l'ennemi. En outre, la nuit, la lueur des foyers permettait le repérage facile des trains. On fut donc obligé, pour ces motifs, d'employer des tracteurs à essence. Deux types furent mis en service :
    • Le tracteur Schneider à transmission par bielle et engrenages. Cet appareil est monté sur 3 essieux couplés ayant 1,42 m d'empattement total. Les roues ont 0,60 m de diamètre. Le poids à vide atteint de 9,3 t et le poids en charge 10 tonnes ce qui donne, par essieu, une charge de 3,3 t.
    • Le tracteur Crochat, à transmission électrique monté sur2 bogies, à 2 essieux ayant chacun un empattement de 1,10 m donnant un empâtement total de 4,50 m. Les roues ont 0,70 m de diamètre. L'appareil pèse à vide 14 tonnes, en charge 14,5 t, soit par essieu 3,3 t.

Utilisation du matériel sur le front

Le service des Chemins de fer stratégiques de campagne, à voie de 60, était constitué par des unités différentes : unités de construction, unités de traction, unités d'exploitation.

Elles devaient assurer les transports entre les gares des lignes à voie normale, parallèles au front et les dépôts de matériel ou de munitions, au moyen de lignes appelées antennes reliées entre elles par des lignes transversales appelées rocades (figure 20).

Les points terminus des antennes étant déterminés, le tracé de la ligne était établi en choisissant le tracé le plus court compatible avec une bonne exploitation qui imposait des conditions de déclivité, de courbure et de défilement aux vues de l'ennemi. En principe le développement d'une antenne ne devait pas dépasser 15 km.

Elle était raccordée à la gare de voie normale aux stockages de munitions, de matériel du Génie, de cailloux pour l'empierrement des routes, au service de la récupération.

A proximité de la gare à voie normale étaient établis : un gril pour la formation des trains; un dépôt de machines avec son atelier de réparations.

A l'avant se trouvaient les raccordements aux dépôts de munitions d'artillerie lourde, d'artillerie de campagne ou d'artillerie de tranchée, au parc divisionnaire du Génie. L'antenne aboutissait à l'avant aux gares de livraison d'artillerie lourde, aux batteries et aux parcs avancés de matériel du Génie.

Ces raccordements étaient exécutés suivant les dispositions des dépôts soit par des embranchements en culs de sac, soit par des dérivations se raccordant à leurs deux extrémités à l'antenne elle-même, quand elle était en contact avec les dépôts.

Pour assurer l'exploitation sur voie unique, des garages étaient disposés à des distances sensiblement égales, mais d'autant plus faibles que le nombre de trains à faire circuler était plus important.

On établissait un poste à chaque garage, et ces postes, gares, dépôts étaient reliés par un réseau téléphonique spécial.

  • Nous donnons ci-après quelques dispositifs de raccordements ayant donné les meilleurs résultats pour un rendement intensif.

Gare de ravitaillement voie normale. Gare de livraison de munitions

En principe, il fallait éviter l'immobilisation du matériel en prévoyant un emplacement pour le stockage des matériaux entre les deux modes de transport. Il est bien entendu que si des wagons d'écartement de voie différent arrivent en même temps à la gare, il y a intérêt à effectuer un transbordement direct. Les gares doivent donc être prévues pour permettre cette opération. (figures 21 et 22)

Dépôt de munitions

Ils permettaient le chargement des trains destinés au ravitaillement des batteries et aussi le déchargement des trains amenant les munitions de la gare de voie normale.

Dans beaucoup de dépôts on réservait la possibilité d'effectuer le ravitaillement par camions ou par voitures hippomobiles.

Les dispositifs (figures 23 et 24) variaient bien entendu suivant les dispositions des lieux et les besoins de l'exploitation.

Dans les gares d'échange de tracteurs (figure 25) on ménageait un gril avec alimentation d'eau pour les locomotives el un garage pour les locotracteurs.

Il était presque toujours impossible de desservir directement les positions, tant à cause de leur variété et de leur nombre dans les secteurs actifs, que par suite des difficultés d'accès. On employait alors la voie de 0,40 m en rails de 4,5 ou 7 kg se terminant dans les batteries mêmes et la traction se faisait à bras d'hommes ou par chevaux. Quelques batteries en raison de leur calibre possédaient des voies de 0,60 m en cul de sac permettant l'arrivée directe des wagons transporteurs dans les batteries mêmes. Ils pouvaient, dans ce cas, être remorqués par des chevaux.

Enfin le transport des gares de distribution de voie de 0,60 m aux batteries s'effectuait souvent par navettes de caissons ou chariots de parc, même dans ce cas la voie de 0,60 m rendit les plus grands services et, à titre d'exemple, nous pouvons citer une batterie à laquelle on fit parvenir 900 coups de 155 en une heure et quart au moyen de 10 chariots de parc ayant à franchir une distance de 1 500 mètres. Si on n'avait pas pu disposer de la voie de 0,60 m, le transport de ces 45 tonnes de projectiles aurait exigé l'emploi de 30 chariots de parc sur une distance de 20 kilomètres et aurait demandé un temps beaucoup plus long.

La voie de 0,60 m était généralement poussée aussi loin que possible, et parfois la traction hippomobile était substituée à la traction mécanique.

L'organisation des dépôts et des gares de formation des trains faisaient l'objet d'une attention particulière. L'entretien, la visite rapide des locomotives et des wagons, ainsi que la simplification des manoeuvres étaient en effet des facteurs importants du rendement d'une antenne. Nous donnons (figure 26) le schéma d'une gare de formation avec dépôt et ateliers de réparation de locomotives et wagons.

  • Les dépôts de locomotives devaient comporter :
    • Une série de voies en cul de sac avec fosses de visite,
    • Un atelier de réparation,
    • Des voies de garage,
    • Des dispositifs d'alimentation d'eau,
    • Un dispositif pour le lavage des chaudières,
    • Un dépôt de charbon,
    • Un four à griller le sable,
    • Un atelier de réparation de wagons.
  • Pour donner une idée du développement atteint par les chemins de fer stratégiques de campagne à voie de 0,60 m à l'arrière du front, nous citerons les deux cas suivants :
    • Dans une offensive exécutée par les armées françaises en 1917, il y avait 190 kilomètres de voie de 0,60 m sur un front de 20 kilomètres, soit 9,5 km de voie par kilomètre de front.
    • Dans une autre offensive de la même année, il y avait 260 kilomètres de voies pour un front de 25 kilomètres, soit 10,4 km de voie par kilomètre de front.

Construction

  • La construction des lignes se faisait d'après les principes suivants :
    • On évitait d'abord soigneusement les terrains marécageux ou à sol argileux.
    • On n'employait pas de courbes de moins de 30 mètres, de rayon. On évitait même les courbes de rayon aussi faible qui exigeaient un ralentissement dans la marche surtout dans les lignes desservies par les locomotives « Kerr-Stuart » ou « Baldwin » et les locotracteurs « Schneider » car l'entretien devenait considérable. En somme le rayon de 50 mètres était considéré comme un minimum pratique.

Il était prescrit de ne pas mettre une courbe au bas d'une rampe, de mettre un alignement droit entre deux courbes de sens contraire, de ménager, dans les rampes longues, des paliers de 80 à 100 mètres à chaque kilomètre.

Pour la détermination du rayon des courbes et de la composition de celle-ci en éléments de 5 m, 2,50 m, et 1,25 m, les officiers chargés de la construction disposaient de tables très précises donnant pour tous les angles, des alignements à raccorder, les développements des courbes, pour différents rayons, leur composition en éléments normaux, la longeur des tangentes, les flèches, ordonnées sur les tangentes et en général tous les éléments permettant un choix judicieux des courbes à adopter, suivant les obstacles et les difficultés du terrain et permettant le piquetage rapide du tracé.

Théoriquement, les rampes ne devaient pas dépasser une inclinaison de plus de 25 millimètres par mètre et les déclivités nettes 30 millimètres par mètre dans le sens du trafic en charge, la déclivité nette étant égale à la rampe augmentée d'une rampe fictive de résistance correspondant à celle qu'opposait une courbe au passage d'un train.

  • Ces rampes fictives sont les suivantes :
    • 10 millimètres par mètre pour une courbe de 30 mètres.
    • 6 millimètres par mètre pour une courbe de 50 mètres.
    • 3 millimètres par mètre pour une courbe de 100 mètres.
    • 1 millimètre par mètre pour une courbe de 500 mètres.

Ces prescriptions ont pourtant été assez souvent dépassées et des rampes de 70 millimètres par mètre furent établies dans certains cas. Inutile de dire que le rendement était très faible.

On évitait les remblais dont l'entretien est difficile. Le passage des cours d'eau se faisait sur les ponts existants ou sur des ponts construits spécialement. Ces derniers devaient permettre le passage de l'artillerie lourde à grande puissance.

Nous donnons (figures 27 et 28) les profils en travers type adoptés pour les voies en remblai et en déblai en terrains moyens.

Les remblais étaient établis par couches de 20 centimètres, pilonnées afin d'ouvrir la ligne à l'exploitation le plus rapidement possible.

La pose de la voie se faisait à l'avancement. Les officiers des unités de construction établissaient des carnets de pose indiquant la nature des éléments nécessaires à la construction de la ligne et leur ordre de chargement. Ces carnets étaient réunis au parc du matériel qui les faisait charger sur wagons dans l'ordre indiqué. Les éléments étaient amenés au chantier de pose par trains complets. Les wagons vides étaient déraillés sur un élément de voie placé sur le côté de la ligne et repris ensuite.

Cette façon de procéder était théorique et prévue pour assurer le maximum de vitesse dans la pose, mais elle ne s'appliquait bien que dans le cas de pose sur route ou sur plateforme peu accidentée. Dans la pratique la place manquait généralement. Dans ces conditions, les trains se composaient de trois wagons seulement, le coltinage des éléments était un peu plus long, mais on économisait les manoeuvres de déraillement et finalement la méthode ne présentait pas d'infériorité sensible sur celle de la théorie.

D'ailleurs la méthode d'avant-guerre établie pour obtenir une pose rapide, ne prévoyait l'installation des voies de 0,60 m que sur les bas côtés des routes, avec un minimum de parcours sur terrassement en dehors des sols durs. C'est d'ailleurs pour cette raison, qu'au début, le ballastage avait été négligé et presque supprimé.

Les réseaux établis sans ballastage donnèrent des résultats lamentables, des déraillements fréquents se produisirent, et le rendement fut insignifiant. On dut rapidement changer de méthode et le ballastage fut prescrit comme absolument nécessaire. Les matériaux employés devaient être perméables et non argileux, tels que sables, gravier, crasses de hauts fourneaux.

La traverse, au passage d'un essieu de 3 500 kg transmet au sol une pression de 2,69 kg/cm2, supérieure à la résistance offerte par la plupart des terrains autres que les routes ou chemins battus. Suivant la nature des terrains, l'épaisseur de la couche de ballast variait entre 0,10 et 0,25 m correspondant à un cube de 0,17 à 0,44 m3 à par mètre courant de voie simple.

Le ballast pris généralement dans les environs, mais parfois fort loin, était amené sur les chantiers par les unités d'exploitation. Le ballastage se faisait par relevage de la voie.

Les unités de construction, composées entièrement de spécialistes, recevaient, à titre d'auxiliaires, des travailleurs prélevés sur les troupes d'infanterie de la région, ce qui permettait de doubler et même tripler l'effectif de l'unité.

La vitesse de construction était donc assez variable, suivant la nature des terrains et l'importance des effectifs. En moyenne, une unité de pose faisait un kilomètre par jour. Dans des cas urgents, on est arrivé à construire 32 kilomètres en 10 jours. Dans certains cas, où la ligne traversait des régions dévastées où il était même nécessaire d'établir de nouveaux ponts, la vitesse est tombée à 500 mètres par jour. On est donc loin des vitesses constatées avant la guerre, mais il faut bien considérer qu'à cette époque, elles ne furent obtenues que pour une simple pose de voies sur accotements de route avec terrassements réduits au minimum.

En principe une ligne n'était remise à l'exploitation que lorsque sa construction était terminée, la confusion des deux services amenant une gêne considérable dans la construction et l'exploitation donnant un mauvais résultat.

Entretien

L'entretien des lignes exigeait en moyenne trois hommes par kilomètre de voie. Pour les zones avancées, ce chiffre était insuffisant. Les travaux consistaient en réparation de coupures, remplacement d'élément détruits, réfection de plateforme, etc. On cite une ligne, qui au cours des opérations, à Verdun fut coupée 33 fois en 24 heures par le feu de l'ennemi. Pourtant, grâce à l'intervention immédiate des équipes de réparation, les batteries desservies par cette ligne purent recevoir pendant un mois 12 000 tonnes de munitions, soit en moyenne 400 tonnes par jour. On voit donc le rôle extrêmement important joué par les équipes de réparations composées de territoriaux et principalement de RAT.

Bien entendu les lignes étaient camouflées.

L'entretien pendant l'exploitation comportait le serrage des boulons d'éclisses, le bourrage, l'assainissement de la plateforme; le remplacement des éléments coupés ou faussés, le nettoyage et le graissage des changements de voie.

Exploitation

Sur antenne à voie unique l'exploitation était assurée par croisements de trains isolés ou par croisements de rames. Une rame étant constituée par un nombre variable de trains se suivant à intervalle de temps restreint (6 minutes environ).

  • Le rendement d'une antenne avec croisement de trains isolés dépend :
    • de la puissance des tracteurs,
    • du profil de l'antenne,
    • de la vitesse des trains,
    • de la distance des garages,
    • de la nature des chargements.

Evidemment, à nombre égal de trains, le rendement était d'autant plus grand que le poids des trains était plus considérable. Il y avait donc intérêt à adopter les locomotives et des tracteurs puissants. Par contre cette puissance était limitée par la résistance de la voie qui ne pouvait pas supporter plus de 3,5 t par essieu.

  • Les différents types employés donnaient les résultats suivants, en charges brutes remorquées sur différentes rampes (chiffres officiels).
    • Locomotive Péchot : en palier 342 t, en rampe nette de 20 mm 58 t, en rampe nette de 40 mm 27 t,
    • Baldwin 3/3: en palier 370 t, en rampe nette de 20 mm 63 t, en rampe nette de 40 mm 29 t,
    • Kerr-Stuart 3/3: en palier 350 t, en rampe nette de 20 mm 60 t, en rampe nette de 40 mm 28 t,
    • Decauville 3/3 : en palier 285 t, en rampe nette de 20 mm 49 t, en rampe nette de 40 mm 23 t,
    • Locotracteur Schneider : en palier 280 t, en rampe nette de 20 mm 48 t, en rampe nette de 40 mm 22 t,
    • Locotracteur Crochat : en palier 390 t, en rampe nette de 20 mm 67 t, en rampe nette de 40 mm 31 t.

Nous rappelons que la locomotive Péchot était à 4 essieux, tandis que les autres locomotives étaient à 3 essieux couplés. De plus les machines Baldwin et Kerr-Stuart plus puissantes étaient plus lourdes et fatiguaient beaucoup la voie.

La vitesse commerciale adoptée était de 10 kilomètres à l'heure. La distance moyenne entre les garages variant de 2 000 à 2 400 mètres, le temps à prévoir entre le passage de deux trains variait entre 24 à 29 minutes.

Dans ces conditions le débit d'une antenne était fonction de son profil et, en se basant sur les chiffres donnés pour la locomotive Péchot, le rendement horaire était : Sur rampe de 25 mm 96 tonnes brutes et sur rampe de 40 mm 54 tonnes brutes.

Pour obtenir le rendement théorique net, il faut tenir compte de la nature des matières transportées.

  • En principe, le rapport entre le poids utile transporté et le poids brut remorqué se chiffrait comme suit :
    • Munitions d'artillerie lourde : 64 à 70 %,
    • Matériel de voie : 63 %,
    • Matériel d'artillerie : 60 %,
    • Vivres, pain : 45 %,
    • Avoine : 66 %,
    • Rondins : 55 %,
    • Poutrelles : 75 %,
    • Matériaux d'empierrement : 60 %.
  • D'après tous ces chiffres le tonnage brut journalier sur une rampe de 25 mm était de 2 304 tonnes auquel correspondaient les tonnages nets suivants :
    • Munitions d'artillerie lourde environ 1 600 t.
    • Matériel de voie de 0,60 m environ 1 450 t,
    • Matériel d'artillerie : environ 1 380 t,
    • Vivres environ 933 t,
    • Avoine environ 1 500 t,
    • Rondins environ 1 250 t,
    • Poutrelles environ 1 700 t,
    • Cailloux environ 1 380 t.

L'exploitation par rames augmente naturellement le rendement d'une antenne, mais pas en proportion exacte du nombre de trains composant les rames, puisque dans ce cas les trains se suivent à 5 ou 6 minutes La durée du voyage se trouve augmentée d'autant.

L'exploitation par rames exige des garages assez longs. Ils comprennent alors, des alimentations d'eau. Une locomotive met 10 minutes environ pour faire le plein de ses soutes.

Dans la pratique et sur la plupart des réseaux, les trains ne comportaient pas plus de 3 à 4 wagons donnant une charge nette transportée de 24 à 32 tonnes par train et un rendement théorique journalier avec croisements simples, variant de 1 152 à 1 536 tonnes nettes.

Ces rendements nécessitent naturellement l'emploi d'un personnel nombreux et exercé, un matériel tracteur et roulant en très bon état, une voie solide et bien entretenue, enfin un secteur calme.

Un pareil trafic nécessitait un matériel très important et dans la pratique on était toujours limité par le manque de wagons. Aussi des instructions sérieuses avaient été données pour le chargement et le déchargement rapide du matériel et de son retour immédiat. On comptait généralement qu'un voyage comprenant, chargement, transport aller, déchargement, retour, demandait au minimum 24 heures.

Dans ces conditions pour assurer le transport de 1 500 tonnes, il était nécessaire de disposer de 200 wagons en tenant compte des immobilisations pour visite et entretien. Dans certains réseaux, la durée d'un voyage était de 36 heures et dans ce cas, 300 wagons étaient nécessaires.

Les disponibilités en matériel ne permettaient pas d'arriver au rendement théorique que nous venons d'envisager. Dans la pratique il fallait tenir compte des incidents et accidents dus à l'exploitation même et aussi au tir de l'ennemi. Finalement, dans la pratique, le rendement d'une antenne à voie unique ne dépassait pas 800 tonnes de munitions d'artillerie lourde par 24. heures.

Comme dans les Compagnies de Chemins de Fer, la marche des trains était réglée par des graphiques et horaires types.

Les trains se succédaient de 6 minutes en 6 minutes. Ils stationnaient dans les gares pendant le même temps. On obtenait ainsi par jour 240 trains dans chaque sens.

Tous les trains devaient observer la marche théorique fixée par les graphiques.

Pourtant dans certains cas et principalement dans les périodes de préparation d'attaque on ne s'astreignait pas à une telle précision. Les trains étaient annoncés par téléphone et lancés dès que la voie était libre. Grâce à la spécialisation du personnel, à sa grande connaissance des lignes, à son endurance et à son entrain, de véritables tours de force ont pu être accomplis et l'on peut citer le personnel de telle ligne qui assura sans interruption et d'une façon parfaite sous le feu de l'ennemi, une exploitation intensive de plusieurs jours à peu près sans repos.