Les chemins de fer pendant la guerre de 1914-1918 (RGCF septembre 1914 à juin 1919) Par M. M. PESCHAUD, secrétaire général de la Compagnie des chemins de fer d’Orléans

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Sommaire

Introduction

Les chemins de fer sont devenus, dans la guerre moderne, un instrument de première importance. Leur usage s'étend jusqu'aux abords du champ de bataille, et leur utilité se manifeste dans tout le vaste domaine de la tactique et de la stratégie. D'autre part ils servent à amener au front tout ce qui est nécessaire aux troupes de combat: hommes, munitions, ravitaillement, à ramener du front les blessés, les permissionnaires. Dans les zones de l'intérieur, ils sont nécessaires pour alimenter les industries qui travaillent pour la guerre, pour soutenir la vie économique du pays et assurer son ravitaillement.

Sans de nombreuses lignes de chemins de fer en bon état, sans des réseaux de chemins de fer bien exploités, jamais la guerre n'aurait pu être poursuivie pendant plus de quatre années, et nous n'aurions vu la Victoire s'inscrire sur nos drapeaux. Le rôle que nos grands réseaux de chemins de fer ont eu à jouer au cours de celle guerre a été d'autant plus difficile pour eux qu'ils se sont trouvés aux prises avec de très sérieuses difficultés et qu'ils n'ont pu les surmonter qu'au prix de grands efforts.

Nous n'avons pas l'intention d'écrire ici l'histoire des chemins de fer français pendant la guerre. Elle mérite de l'être et nous souhaitons qu'elle trouve un écrivain digne d'elle. Nous ne voulons même pas revenir sur le détail des très nombreux transports que les chemins de fer durent assurer pendant la guerre. D'autres l'ont fait (CF notamment Revue Politique et Parlementaire, n° du 10 octobre 1915, « Le Temps » des 18 et 25 décembre 1918 et 5 janvier 1919 et la « Revue des deux Mondes » des 15 mars et 1er avril 1919) et l'opinion publique a pu mesurer toute l'importance de la tâche que les réseaux eurent à accomplir. Les articles élogieux consacrés à nos chemins de fer par la presse française, comme par la presse étrangère, prouvent d'ailleurs suffisamment combien a été appréciée la collaboration que les chemins de fer ont apportée à l'oeuvre de la défense nationale.

Nous nous bornerons à exposer l'organisation du service militaire des réseaux pendant la guerre, à indiquer comment cette organisation avait été prévue et préparée dès le temps de paix, comment elle a été appliquée pendant les premiers mois de la guerre, comment, enfin, elle a été modifiée au cours des hostilités.

Après avoir décrit l'organisation des réseaux, nous pourrons utilement montrer ce qu'a été leur exploitation pendant la guerre. Nous devrons nous attacher plus particulièrement à la question du matériel, indiquer les pertes éprouvées à cet égard, les difficultés des réparations, les efforts faits pour accroître les moyens d'action des réseaux; et nous serons ainsi amenés à exposer l'une des causes principales de la crise des transports dont le public s'est plaint amèrement à plusieurs reprises.

Envisageant ensuite l'exploitation commerciale des réseaux français pendant la guerre, nous exposerons les réglementations successives dont les transports commerciaux ont été l'objet et nous tenterons de montrer comment les Administrations des réseaux, après avoir été obligées de supprimer partiellement les transports commerciaux en raison des sujétions militaires, se sont appliquées à les reprendre et à les développer pour entretenir l'activité économique du pays. Nous indiquerons ensuite les causes de la crise des transports et les efforts faits pour y remédier.

Nous parlerons également du personnel des réseaux ferrés. Nous dirons dans quelle proportion son effectif a été réduit, et nous examinerons les mesures prises pour maintenir cet effectif au niveau des besoins. Nous soulignerons aussi l'effort qui a été demandé aux agents, à tous les degrés de la hiérarchie, et nous indiquerons comment ils ont été mis en mesure de faire face à la cherté croissante de la vie.

Nous terminerons en exposant la situation financière des réseaux pendant la guerre, en faisant ressortir les effets de la crise des prix et les conséquences sur leur, gestion des mesures édictées en faveur du personnel.

Le régime administratif des chemins de fer en temps de guerre

Dès l'origine des chemins de fer, on avait prévu le rôle essentiel qui leur incomberait en temps de guerre. Aussi avait-on introduit dans le cahier des charges des Compagnies une disposition aux termes de laquelle, si le Gouvernement avait besoin de diriger des troupes et un matériel militaire ou naval sur l'un des points desservis par le réseau, les Compagnies seraient tenues de mettre immédiatement à sa disposition tous leurs moyens de transport (article 54 du cahier des charges).

Le rôle des chemins-de fer devenant de plus en plus important au fur et à mesure du développement des réseaux et de l'importance de leur outillage, ce que la guerre de 1870-71 avait mis en évidence, l'obligation posée par le cahier des charges des réseaux fut confirmée et précisée par la loi du 24 juillet 1873 sur l'organisation générale de l'armée, par la loi du 3 juillet 1877 sur les réquisitions militaires et par le Règlement d'administration publique rendu pour l'application de cette loi, puis par la loi du 28 décembre 1888, enfin par les décrets des 5 février, 10 octobre, 18 et 19 novembre 1889, 21 février 1900, 25 mars 1908, 8 décembre 1913.

Pour permettre aux réseaux de chemins de fer de jouer utilement leur rôle en cas de guerre, il fallait créer, dès le temps de paix, une organisation permanente à laquelle incomberait le soin de les y préparer. Nous devons donc tout d'abord décrire cette organisation du temps de paix avant de montrer quelle a été, au lendemain de la déclaration de guerre, l'organisation des réseaux et d'indiquer les modifications successives apportées ultérieurement à cette organisation.

Organisation du temps de paix

Dès le temps de paix, fonctionnait un service militaire des chemins de fer dirigé par le Chef de l'État-Major de l'armée, sous l'autorité du Ministre de la guerre, et centralisé dans un bureau de l'État-Major général (4ème bureau).

Commissions de réseau

L'exécution du service militaire, des chemins de fer, dans chacun des six grand réseaux, était confiée à une Commission de réseau, composée de deux membres, savoir : le représentant de l'administration du chemin de fer, désigné par elle et agréé par le Ministre de la Guerre, Commissaire Technique, qui était, en fait, le Directeur du réseau, et un officier supérieur de l'Etat-Major, nommé par le Ministre, Commissaire Militaire. Cette Commission étendait sa compétence sur les lignes des Compagnies secondaires situées dans les régions desservies par le grand réseau.

Chaque Commissaire gardait sa responsabilité propre, le Commissaire Militaire, au point de vue militaire, le Commissaire technique, au point de vue de la mise en œuvre des ressources du réseau. Chaque Commissaire avait un adjoint chargé de le suppléer en cas de besoin.

La Commission de Réseau était chargée, en temps de paix, de l'instruction de toutes les affaires auxquelles donne lieu le service militaire des chemins de fer sur le réseau, de l'étude de toutes les ressources, en matériel et en personnel, nécessaires pour la guerre, de la préparation des transports stratégiques, de la vérification de l'état des lignes, du matériel et des installations diverses, de l'instruction spéciale des agents, de la surveillance des voies et des ouvrages d'art, de la direction de expériences de toute nature faites sur le réseau en vue d'améliorer ou d'accélérer les transports militaires.

Commission militaire supérieure des chemins de fer

En dehors de ces Commissions qui, en temps de paix, étaient des commissions d'études, fonctionnait, auprès du Ministre de la Guerre, une Commission militaire supérieure des chemins de fer.

Cette Commission, présidée par le Chef d'Etat-Major de l'armée, comprenait, comme membres, outre six officiers généraux ou supérieurs et trois délégués du Ministre des Travaux Publics, les Commissaires militaires et techniques des divers réseaux (décret du 18 novembre 1898).

Son rôle était consultatif. Elle donnait son avis au Ministre sur toutes les questions relatives à l'emploi des chemins de fer pour les besoins de l'armée.

Sections de chemins de fer de campagne

Dès le temps de paix, également, le personnel des Compagnies était préparé à la mission qu'il devait, remplir en temps de guerre. Il formait le contingent des sections de chemins de fer de campagne.

A chaque réseau correspondait une section comprenant une portion active et des subdivisions territoriales. Les réseaux les plus importants formaient même plusieurs sections. Il y avait en tout dix sections.

Toutes les dispositions relatives à la mobilisation de chaque Section étaient prévues, de façon que le Ministre put, si besoin était, les utiliser sans délai.

Tandis que les Compagnies de sapeurs des chemins de fer étaient destinées à fournir des détachements pour procéder aux opérations de construction et de réparation des voies ferrées sur le front même de l'armée, les Sections de chemins de fer de campagne étaient chargées d'assurer l'exploitation et l'entretien des voies ferrées en arrière du front de l'armée dans la zone des opérations.

Indépendamment d'une portion active, chaque Section des chemins de fer de campagne comprenait des subdivisions territoriales complémentaires. Tous le- agents de chaque réseau qui, par leur âge, étaient encore soumis aux obligations militaires, à l'exception des agents faisant partie des services non techniques classés dans le droit commun (Contentieux - Service des titres, etc.) et des officiers hors cadres, rentraient dans les cadres de ces subdivisions. Celles-ci, comme la portion active, comprenaient des éléments correspondant aux divers services du réseau : administration centrale et exploitation, voie, traction.

En temps de paix, les agents classés dans ces subdivisions territoriales rentraient, au point de vue militaire, dans l'affectation spéciale : ils étaient dispensés des périodes d'exercice, en temps de guerre, ils passaient à la disposition du ministre de la guerre. Toutefois, même en temps de paix, les subdivisions territoriales pouvaient être mobilisées sur place par le Ministre.

C'est ce que l'on fit à l'occasion de la grève de 1910. Dans le cas d'une convocation de cette nature, les agents devaient exécuter leur service sur place, chacun à son poste habituel, sous l'autorité de leurs chefs naturels investis d'un grade militaire correspondant à leur grade administratif. En un mot ils étaient militarisés et soumis, notamment au point de vue de la discipline, au régime militaire. Comme signe distinctif ils devaient porter un brassard.

Cette organisation, qui fonctionnait dès le temps de paix, avait pour but de permettre aux réseaux de se préparer à jouer le rôle qui devait leur incomber en temps de guerre.

Organisation du temps de guerre

Aux termes de la législation en vigueur, que nous avons rappelée plus haut, dès le premier jour de la mobilisation le service des chemins de fer devait passer, en entier, entre les mains de l'autorité militaire. A partir de ce moment, et sur avis notifié parle Ministre de la guerre, par arrêté en date du 2 août 1914, les Compagnies furent tenues de mettre, comme nous l'avons dit, à la disposition de l'administration militaire, la totalité de leurs moyens de transport sur l'étendue du réseau. Ici nous devons indiquer une distinction.

Zone des armées

Le réseau national est divisé en deux zones : la zone des armées et la zone de l'intérieur. La démarcation entre ces deux zones est sujette aux variations que comporte la marche des événements militaires, et c'est ainsi que, pendant la guerre, la limite de ces zones a varié à plusieurs reprises (voir les cartes, pages 12, 13 et 14). La ligne de démarcation est fixée par les stations de transition.

Chacune de ces zones est placée sous une autorité différente. Dans la zone de l'intérieur, c'est le Ministre de la Guerre qui dispose des chemins de fer. Dans la zone des armées, les chemins de fer relèvent du Commandant en chef des armées. Dans cette dernière zone, les transports ordonnés par le Commandant en chef et réglés par le Directeur des chemins de fer aux armées, sont placés sous l'autorité supérieure du Directeur de l'arrière. Les conditions d'exécution des transports dans cette zone varient selon que ceux-ci doivent être effectués en deçà ou au-delà de la zone des opérations. Mais cette distinction ne reçoit d'application que lorsque les opérations ont lieu en dehors des frontières nationales, En deçà de cette zone et au delà également lorsque les opérations ont lieu à l'intérieur des frontières, les transports sont exécutés par des Commissions et des Sous - Commissions de réseau, analogues à celles que nous allons trouver plus loin dans la zone de l'intérieur et, par des Commissions régulatrices et des Commissions de gare. Ces dernières sont également semblables à celles de la zone de l'intérieur.

Carte page 12

Carte page 13

Carte page 14

Au delà de cette zone, lorsque les opérations ont lieu en dehors des frontières, l'organisation des transports est la suivante :

  • A l'État-Major de chaque armée a été constituée une Direction des chemins de fer de campagne recevant directement les ordres de l'Etat-Major général de l'Armée.
  • Au-dessous existaient les Commissions militaires des chemins de fer de campagne, obéissant aux ordres de cette Direction. Ces Commissions ont à peu près les mêmes attributions que les Commissions de réseau établies en deçà des bases d'opérations. Chaque Commission est composée d'un officier d'État-Major, d'un officier du génie, d'un ingénieur des chemins de fer et d'un fonctionnaire de l'intendance.
  • Au dernier degré de cette hiérarchie se trouvent les commandants militaires d'étapes, qui sont les chefs militaires des gares.

Les transports eux-mêmes sont exécutés dans cette zone par les Compagnies de sapeurs des chemins de fer et les Sections de chemins de fer de campagne. Les Compagnies de sapeurs de chemins de fer se recrutent en grande partie dans le personnel des réseaux. Quant aux Sections des chemins de fer de campagne, elles sont composées, nous l'avons vu, uniquement d'agents des réseaux et constituées dès le temps de paix.

La portion active de chaque section, composée uniquement d'agents de chemins de fer recrutés sur le réseau correspondant à cette section, constitue, en temps de guerre, un corps distinct, ayant sa hiérarchie propre, sans aucune assimilation avec la hiérarchie militaire proprement dite. Les cadres de cette section sont également constitués par des employés supérieurs et des fonctionnaires du réseau. Le commandant de la Section exerce, à l'égard du personnel, les fonctions de chef de corps. L'administration de chaque Section est exercée par un Conseil d'Administration. Le contrôle des agents est tenu par l'autorité militaire, d'une part, par les Compagnies de chemins de fer de l'autre, sous la responsabilité du commandant de la Section et de la Compagnie, au point de vue du service militaire, ce personnel appartient à la catégorie des hommes ayant une affectation spéciale (Loi du 21 mars 1905, article 42). Il était, en temps de paix, dispensé des périodes d'exercice, et pouvait être convoqué, sur l'ordre du Ministre de la guerre, pour des inspections, revues et réunions d'instruction. Les agents de la portion active des Sections ont un uniforme qu'ils devaient revêtir en cas de mobilisation.

Au moment de la mobilisation, la portion active des Sections de chemins de fer de campagne a été mise à la disposition du Commandant en Chef des armées dans la mesure de ses besoins. Ce sont ces Sections qui, avec les sapeurs des chemins de fer, ont assuré le service des trains dans la zone-des opérations. C'est pour ce motif, qu'elles comportent, chacune, des éléments correspondant aux grands services des réseaux : exploitation, voie, traction.

Chaque-Section devait comprendre 1.500 hommes et était composée d'agents supérieurs (le commandant de la Section, les chefs et sous-chefs de service, les chefs de bureau, les employés) et d'agents secondaires (les chefs et sous chefs ouvriers et les ouvriers). C'est donc un total de 15.000 hommes que représentaient les 10 Sections. En y ajoutant le régiment des chemins de fer dont l'effectif a été très considérablement accru pendant la guerre, le Général en chef disposait là d'une véritable armée. En fait, l'effectif total des Sections a été notablement dépassé, d'une part par suite du renforcement de l'effectif de chaque Section et d'autre part parla création de deux nouvelles Sections. Ces Sections, au nombre total de 12, ont été formées avec le personnel, les 2 premières et la 11ème, du réseau PLM, la 3ème, du réseau d'Orléans, la 4ème et la 9ème, du réseau de l'État, la 5ème, du réseau du Nord, la 6ème, du réseau de l'Est, la 7ème, du réseau du Midi, la 8ème, des réseaux de l'Est, de l'État et du Nord, la 10ème, des chemins de fer secondaires, enfin la 12ème Section, constituée au moment de l'armistice, avec le personnel technique des divers réseaux, a été affectée à la direction et à la surveillance technique du réseau d'Alsace-Lorraine.

Dans la zone des armées, les lignes sont, en principe, fermées aux transports commerciaux et réservées aux transports militaires. Cette règle peut comporter cependant des exceptions, tant en ce qui concerne certaines lignes que certains transports. C'est le Commandant en chef des armées qui est compétent pour autoriser ces transports.

Zone de l'intérieur

Dans la zone de l'intérieur, les transports sont ordonnés par le Ministre de la Guerre et réglés par l'État-Major général de l'Armée (4ème bureau). Ils n'ont lieu que dans la mesure autorisée par le Ministre.

Les transports sont exécutés, sur chaque réseau, par les soins et sous la responsabilité d'une Commission de réseau. Nous avons indiqué plus haut la composition de cette Commission et les attributions respectives de l'un et l'autre de ses membres.

Les mesures d'exécution sur le réseau sont toujours prises au nom de la Commission, agissant collectivement.

La Commission de réseau est aidée, d'une part, par des Sous-Commissions de réseau, composées chacune d'un Sous-Commissaire militaire nommé par le Ministre et d'un Sous-Commissaire technique désigné par la Commission de réseau (auxquels peut être adjoint, si les besoins l'exigent, un personnel technique et militaire) et d'autre part, par des Commissions de gare et un chef de gare, Commissaire technique.

Les Sous-Commissions de réseau, sur les lignes qui leur sont attribuées, sont des organes d'exécution de la Commission de réseau.

Les Commissions de gares sont les organes locaux d'exécution.

En temps de guerre les réseaux doivent, avant tout, assurer, dans les meilleures conditions, les transports stratégiques. Ces derniers transports comprennent, ainsi que nous le verrons plus loin : les transports de mobilisation, les transports de concentration, les transports de troupes nécessités par les opérations, les transports de ravitaillement, les transports d'évacuation, les transports de dislocation.

Dans la zone de l'intérieur, ainsi d'ailleurs que dans la partie de la zone des armées qui se trouve en deçà de la zone des opérations, le service est assuré par le personnel des réseaux, embrigadé, ainsi que nous l'avons dit, dans les subdivisions territoriales des chemins de fer de campagne.

Dès la publication du décret de mobilisation, le personnel réparti dans ces subdivisions, qui comprennent la grande majorité des agents des réseaux, a été militarisé à son poste. Chaque agent a revêtu l'emblème de militarisation, c'est-à-dire le brassard blanc pour l'administration centrale et l'exploitation, jaune pour la voie, rouge pour la traction. Sur ce brassard sont fixés les galons distinctifs du grade, correspondant à ceux de la hiérarchie militaire et conférés en raison de la situation de l'agent dans la hiérarchie administrative du réseau. Le brassard porte également le numéro de la Section et celui de la subdivision de la Section à laquelle appartient l'agent.

Caractères de cette organisation

Si l'on jette un regard d'ensemble sur l'organisation que nous venons de décrire, on constate que ses caractères essentiels sont les suivants :

  • D'abord, rien de ce qui touche à l'organisation militaire des chemins de fer en temps de guerre n'a été laissé à l’improvisation. Tout a été étudié et organisé dès le temps de paix.
  • Non seulement toute l'organisation du temps de guerre a fait l'objet de règlements minutieux, mais, dès le temps de paix, elle a fonctionné dans ses rouages essentiels, puisque la Commission de réseau, composée du Commissaire technique et du Commissaire militaire, était constituée en permanence, et que ses deux membres collaboraient de façon à permettre au réseau de faire face à toutes ses obligations du temps de guerre.
  • Un autre caractère de cette organisation, c'est l'association de l'élément militaire et de l'élément technique. Si, en temps de guerre, l'autorité appartient au Ministre de la guerre et, en son nom, au service compétent de l'Etat-Major. En revanche, pour tout ce qui concerne l'exécution du service, nous trouvons, à tous les degrés (Commissions de réseau, Sous-Commissions de réseau, Commissions de gare), l'élément militaire et l'élément technique associés.
  • On peut remarquer enfin que cette organisation militaire des réseaux repose essentiellement sur leur organisation administrative puisque les Commissaires techniques sont, en fait, les Directeurs des réseaux, que les Sous-Commissaires techniques sont des fonctionnaires supérieurs des réseaux, et que tout le service s'exécute, sauf dans la zone des opérations, par les soins du personnel des réseaux militarisés sur place. Dans la zone des opérations elle-même, l'un des éléments d'exécution est constitué par les portions actives des Sections de chemins de fer de campagne, composés uniquement de fonctionnaires et d'agents du réseau auquel chacune d'elles correspond l'autre élément, les sapeurs des chemins de fer (5ème régiment du génie), comprend un grand nombre d'agents de chemins de fer, chaque réseau devant, en vertu d'une convention passée avec le Ministre de la Guerre, fournir à ce régiment un nombre déterminé d'officiers et d'hommes.
  • Etant donné que l'organisation administrative des réseaux sert de base à leur organisation militaire, il en résulte que tant valait leur organisation administrative, tant devait valoir leur organisation militaire. Nous pouvons donc dire que si, au cours de la guerre, nos différents réseaux se sont acquittés de leur mission, si difficile notamment pendant la période des transports de mobilisation et de concentration, dans des conditions auxquelles on a rendu maintes fois hommage, c'est bien parce que leur organisation administrative était bonne.

L'organisation militaire des réseaux que nous venons de décrire a été intégralement appliquée sitôt l'ordre de mobilisation lancé, le 2 août 1914.

A partir de ce moment le service des chemins de fer est passé, tout entier, comme il était prévu, sous l'autorité militaire, et le régime du temps de guerre a été totalement substitué au régime du temps de paix. Le Chef du 4ème bureau de l'Etat-Major au Ministère a exercé, par délégation, presque tous les pouvoirs conférés au Ministre de la guerre par la législation en vigueur.

Grâce à la perfection de leur préparation, les réseaux se trouvèrent ainsi, sans transition, prêts à jouer le rôle qui leur incombait dans la défense nationale. La mobilisation ne les surprit pas.

Modifications apportées à cette organisation au cours de la guerre

Pendant de longs mois, cette organisation fonctionna sans heurts et fit ses preuves. Tout le monde se rappelle avec quelle régularité, quelle précision, quelle rapidité, s'effectuèrent les transports de mobilisation et de concentration. Le Gouvernement tint à en remercier publiquement les Administrations de nos grands réseaux et toute la France lui fil écho. Mais, peu à peu, la guerre se prolongeant, des besoins nouveaux se tirent sentir.

L’effort du pays, tout d'abord uniquement concentré vers les opérations militaires, dût se retourner aussi vers l'arrière. Les stocks régionaux et locaux s'épuisant, il fallut songer à pourvoir à la fabrication du matériel de guerre et des munitions, à organiser le ravitaillement de l'armée. Il fallut aussi faire face aux exigences de l'arrière, à assurer à la population civile les moyens de transports suffisants pour qu'elle put recevoir les denrées nécessaires à son ravitaillement et à son industrie. La tâche des réseaux ne fut plus seulement militaire, elle devint vraiment nationale : double lâche, mais combien lourde à accomplir !

Cette évolution des événements devait logiquement entraîner un déplacement des compétences et des responsabilités. Le service des chemins de fer, sortant de son rôle exclusivement militaire pour satisfaire également aux besoins généraux du pays, il apparut nécessaire de ne plus le laisser uniquement aux mains de l'autorité militaire, mais de créer une direction plus générale ayant pour mission de répartir, dans une juste mesure, tous les moyens de transports entre les services militaires el les services civils et de veiller a l'exécution de l'ensemble des transports nécessaires au pays tout entier.

C'est en partant de cette idée, timidement appliquée d'abord, et sous la pression des événements, que l'on arriva, insensiblement, par des réorganisations successives, à retirer, en fait, sinon en droit, le service des chemins de fer des mains de l'autorité militaire et à en confier la direction au Ministre des Travaux Publics et des Transports.

Mais cette attribution nouvelle de compétence ne touchait en rien aux transports eux-mêmes, toujours commandés d'abord par les nécessités militaires, et laissait subsister intégralement, tous les rouages de l'organisation, notamment les Commissions de réseau, qui fonctionnaient de telle sorte qu'il était inutile d'y rien changer.

Direction générale des transports au Ministère des Travaux Publics

La première réforme fit l'objet, plus de deux années après le commencement de la guerre, du décret du 18 novembre 1916 qui créa, au Ministère des Travaux Publics, une Direction générale des transports et centralisa entre les mains du Directeur Général toutes les questions relatives à l'organisation et à l'amélioration des transports par voie terrée, fluviale et maritime.

En fait le Chef du 4ème bureau de l'Etat-Major de l'année passait sous son autorité, tout en relevant du Ministre de la Guerre, et le Directeur Général exerçait, par délégation du Ministre de la Guerre, les pouvoirs que celui-ci tenait des lois el règlements.

Aux termes de ce décret, le Directeur Général se vit notamment confier l'organisation des plans de transport pour l'ensemble des besoins économiques du pays, la détermination des ordres de priorité pour les expéditions ainsi que pour les importations. Il agissait sous l'autorité du Général Commandant en chef dans la zone des armées, et sous l'autorité du Ministre de la Guerre dans la zone de l'intérieur.

Ainsi donc la création de cette Direction Générale était motivée par la nécessité de satisfaire aux besoins militaires, économiques et commerciaux de l'arrière, que la guerre, en se prolongeant, ne permettait pas de négliger. Mais le haut fonctionnaire chargé de celte direction n'en restait pas moins sans autorité propre, et, par application du principe, aux termes duquel, en temps de guerre, le service des chemins de fer relève de l'autorité militaire, le Directeur Général des transports tenait tous ses pouvoirs de l'administration militaire dont il dépendait.

Sous-Secrétariat des Transports

Cependant, cette Direction Générale était à peine installée qu'un organisme nouveau lui était substitué. Par décret du 14 décembre 1916, un Sous-Secrétariat d'Etat des Transports était créé au Ministère des Travaux Publics.

Le Sous-Secrétaire d'Etat, dont les attributions furent fixées, quelques jours après, par décret du 27 décembre1916,était chargé de diriger, au nom et par délégation permanente du Ministre des Travaux Publics, les services des chemins de fer et des voies ferrées d'intérêt local, de la navigation et des ports maritimes, des transports maritimes, des routes, de l'automobile, des usines hydrauliques et des distributions d'énergie électrique.

Ces services furent répartis en 4 sections par arrêté du 27 décembre 1916 :

  • la section de la navigation et des ports maritimes;
  • la section des chemins de fer et des voies ferrées d'intérêt local;
  • la section des routes, de l'automobile des usines hydrauliques et des distribuions d'énergie électrique;
  • la section des transports maritimes.

Chacune de ces sections ayant à sa tête un Inspecteur Général des Ponts-et-Chaussées.

Mais, ainsi délimitées, les attributions du Sous-Secrétaire d'Etat demandaient à être complétées. Le Sous-Secrétaire d'état ne tenait, en effet, ses pouvoirs que d'une délégation permanente du Ministre des Travaux Publics. Il n'était nullement investi des pouvoirs confiés à l'autorité militaire en matière de chemins de fer.

La dualité des pouvoirs subsistait, la centralisation recherchée n'était pas obtenue. Elle ne tarda pas à être réalisée. Pour lui permettre d'assurer l'exécution des services qu'il devait diriger, le Sous-Secrétaire d'État des transports, reçut, par décret du 27 décembre 1916, la délégation des attributions confiées à l'autorité militaire pour le service des chemins de fer par les lois des 5 juillet 1877 et du 28 décembre 1888.


Le Sous-Secrétaire d'État fut, dès lors, chargé, notamment, de l'exécution de tous les transports de troupe et de matériel de combat ainsi que des transports d'évacuation des blessés, qui étaient préparés et ordonnés par l'autorité militaire, et qui devaient conserver la priorité sur tous les autres transports. Dans la zone des armées, l'organisation de ces transports fut confiée au Directeur de l'arrière, qui reçut, à cet effet, la délégation permanente du Sous-Secrétaire d'État.

La direction du service des chemins de fer échappait ainsi à l'autorité absolue de l'administration militaire. Même à l'égard du personnel militaire affecté à ce service, la réforme était d'importance. Désormais toutes les propositions dont ce personnel pouvait être l'objet, ne devaient parvenir au Ministre de la guerre que par l'intermédiaire du Ministre des Travaux Publies, avec l'avis du Sous-Secrétaire d'Etat des transports.

Les pouvoirs conférés au Sous-Secrétaire d'Etat à l'égard du personnel ne parurent pas cependant suffisants. Ils furent encore renforcés par un décret du 9 mai 1917 qui plaça sous l'autorité directe du Sous-Secrétaire d'Etat tout le personnel civil et militaire affècté au service des transports.

Le Sous-Secrétaire d'Etat fut assisté dans la zone des armées d'un officier général ayant le titre de Directeur des transports militaires dans la zone des armées, et dans la zone de l'intérieur, d'un officier général ayant le titre de Directeur des transports militaires dans la zone de l'intérieur. Ces deux officiers généraux furent chargés, en vertu d'une délégation qu'ils reçurent du Sous-Secrétaire d'Etat, d'assurer, le premier dans la zone des armées, suivant les ordres du Général Commandant en chef, le second, dans la zone de l'intérieur, suivant les ordres du chef d'État-Major Général, les transports de troupes, de matériel, de blessés et de ravitaillement. Le Sous-Secrétaire d'Etat obtint enfin, par délégation du Ministre de la Guerre, l'administration de tous les crédits inscrits au budget du Ministère de la Guerre pour pourvoir à toutes les dépenses du service des transports. Le Sous-Secrétaire d'Etat devenait ainsi le grand maître des transports et détenait tous les pouvoirs du Ministre des Travaux Publics, du Ministre de la Guerre et du Commandant en Chef des armées, les uns et les autres par délégation.

Concentration des Pouvoirs aux mains du Ministre des Travaux Publics

L'extension de ces pouvoirs laissait présager le dernier stade de la réforme. Quelques mois plus tard, par décret du 15 septembre 1917, ces importantes attributions étaient transférées dans leur ensemble au Ministre des Travaux Publics et des Transports, et un décret du 8 décembre 1917, précisait à nouveau, notamment en ce qui concerne l'exécution des travaux neufs ou d'entretien, les pouvoirs conférés, par délégation du Ministre, au Directeur des transports militaires de la zone des armées.

Cette organisation nouvelle fonctionna ainsi jusqu'au 26 juillet 1918. A cette date, un nouveau décret vint compléter l'évolution de la réforme dont nous venons de suivre les phases, en précisant de nouveau les pouvoirs du Ministre et en réorganisant ses services.

Ce décret confirma entre les mains du Ministre des Travaux Publics la délégation permanente des attributions de l'autorité militaire en matière de chemin de fer, en le chargeant de tout ce qui concernait le service des transports militaires, l'utilisation, pour le besoin des armées, des chemins de fer, ports, voies navigables de toute nature, ainsi que de l'organisation des travaux neufs et des travaux d'entretien nécessaires pour le maintien ou le rétablissement de la circulation.

Tout le personnel civil et militaire affecté au service des transports et à l'organisation des travaux sur les voies ferrées, les routes, les voies navigables, et dans les ports, restait placé sous l'autorité du Ministre, qui était chargé également d'arrêter et de soumettre, pour approbation, au Ministre de la Guerre, les propositions de nomination, d'avancement et de distinction honorifique du personnel militaire.

Pour lui permettre d'assurer l'exercice de ses fonctions, le Ministre des Travaux Publics et des Transports fut assisté :

  • d'un officier général qui prit le titre de Directeur général des transports militaires et fut chargé de faire exécuter, par priorité, sur l'ensemble des réseaux des voies ferrées et des voies navigables, les transports militaires, et de diriger l'exécution des travaux militaires sur les voies ferrées ;
  • des trois Chefs des services centraux d'exploitation des chemins de fer, des voies navigables et des ports maritimes chargés, chacun en ce qui le concernait, de tout ce qui était relatif à l'exécution technique et à l'exécution commerciale de l'ensemble des transports.

Pour assurer la coordination des efforts sur l'ensemble des voies de communication, le Directeur général des transports militaires, les Chefs des services centraux visés ci-dessus, et les Chefs d'exploitation des grands réseaux de chemins de fer se réunissaient périodiquement en conférence sous la présidence du Ministre des Travaux Publics.

Enfin, aux côtés du Général Commandant en chef les armées alliées, était placé un officier général ou supérieur ayant le titre de Directeur des transports militaires aux armées et chargé, par délégation permanente du Directeur Général des transports militaires, de faire exécuter, en son nom, les transports intéressant les armées, et de faire étudier les travaux prescrits par le Commandement. Cet officier général ou supérieur, nommé par le Ministre de la Guerre, après entente entre le Ministre des Travaux Publics et le Général Commandant en chef, était qualifié pour donner aux Commissaires de réseaux les ordres d'exécution nécessaire. Il avait sous ses ordres directs tout le personnel civil et militaire affecté au service des transports militaires sur le réseau des armées.

Le décret du 26 juillet 1918 donnait ainsi au Ministre des Travaux Publics les pouvoirs les plus étendus pour l'exécution des transports. Tout le service était placé sous sa dépendance, aussi bien dans la zone des armées que dans la zone de l'intérieur.

Par étapes successives, la centralisation recherchée et rendue nécessaire par la prolongation de la guerre était réalisée. Le principe aux termes duquel les chemins de fer devaient, en temps de guerre, relever entièrement de l'autorité militaire, était maintenu ; mais le Ministre des Travaux Publics exerçait, avec ses pouvoirs normaux, ceux qui lui étaient délégués par le Ministre de la Guerre. Par ailleurs toute l'organisation des réseaux préparée dès le temps de paix subsistait dans ses détails ; la direction du service seule avait changé de mains.

Décret du 2 Février 1919

Lorsque l'armistice fut signé, à la date glorieuse du 11 novembre 1918, cette organisation continua de fonctionner, et le décret du 2 février 1919, qui rendit la direction des réseaux aux Administrations qui en étaient chargées en temps de paix, n'y apporta aucun changement essentiel.

En effet, aux termes de ce décret, le régime prévu par la loi du 28 décembre 1888 continua d'être appliqué aux réseaux qui restaient toujours réquisitionnés. Si l'autonomie de leur gestion était rendue aux administrations ordinaires du temps de paix, les réseaux étaient toujours tenus d'exécuter, par priorité absolue, les transports militaires indispensables et les transports essentiels à la vie de la nation et de se conformer aux ordres qui leur étaient notifiés par le Ministre des Travaux Publics et des Transports, agissant par délégation de l'autorité militaire.

En outre, le décret du 2 février 1919 maintenait, à côté du Directeur de chaque réseau, un Commissaire militaire chargé d'établir la liaison avec l'autorité militaire, de surveiller l'exécution des transports militaires et de diriger les travaux militaires et les travaux de réfection des voies de communication exécutés par les unités militaires ou avec le concours de l'autorité militaire.

Ce Commissaire, toujours chargé des attributions d'un chef de corps à l'égard du personnel militaire ou militarisé du réseau, était secondé par des commissaires militaires placés auprès des chefs d'arrondissement, inspecteurs principaux et chefs de gare. Les Commissaires militaires placés près des chefs de gare étaient particulièrement chargés de diriger le service d'ordre et de police dans la gare, et de transmettre les communications de l'autorité militaire.

Le décret du 2 février 1919, ne changeait rien non plus à l'organisation des chemins de fer au Ministère des Travaux Publics et au Grand quartier général. Le Ministre des Travaux Publics conservait la délégation du Ministre de la Guerre pour l'exercice de ses pouvoirs sur les réseaux ; l'élément militaire restait toujours intimement associé à l'élément technique pour la direction et l'exécution des transports, et il était prévu que celte organisation devait subsister tant que durerait la réquisition des réseaux. D'autre part le personnel restait mobilisé.

En réalité le décret du 2 février, en faisant revivre la responsabilité des réseaux, n'a pas mis fin à la situation de dépendance dans laquelle ils se trouvent vis-à-vis de l'autorité militaire et n'a pas accru leurs moyens d'action. On peut le considérer toutefois comme un hommage rendu à la valeur des dirigeants des réseaux. Hommage légitime, d'ailleurs, car quelle que fut l'opportunité des diverses mesures adoptées pendant la guerre, que nous venons d'indiquer, leur efficacité dépendait uniquement de l'organisation administrative des réseaux, de la sûreté des méthodes de leurs services et de la valeur de leur personnel. Aussi est-ce pour une grande part, on peut bien le dire, grâce au fonctionnement régulier des diverses services des réseaux et à leur bonne préparation, que notre réseau ferré a pu, ainsi que nous allons maintenant nous efforcer de le montrer, apporter sa large contribution à la défense nationale.

Exploitation des chemins de fer pendant la guerre

Transports militaires

Pour faire face aux transports de guerre, tout en continuant à assurer, dans une mesure forcément restreinte, le transport des voyageurs et des marchandises, le parc dont les différents réseaux disposaient, comprenait en chiffres ronds, quand la guerre éclata, 13 800 locomotives, 356 000 wagons et 49 300 voitures à voyageurs, fourgons et accessoires de GV (Rapport du Ministre des Travaux publics au Président de la République, Journal Officiel du 10 février 1919, p. 1566).

Les transports militaires passèrent naturellement au premier plan. Ces transports peuvent être répartis logiquement, pour la commodité d'un exposé analytique de la question, en quatre catégories :

  • transports de troupes ;
  • transports de ravitaillement ;
  • trains sanitaires ;
  • trains de permissionnaires.

Les transports de troupes ont compris, dans l'ordre chronologique, d'abord les transports des troupes de couverture, puis les transports de mobilisation (transports entre la gare de domicile des hommes et leur dépôt), enfin les transports de concentration (du dépôt des unités, aux lieux fixés par le commandement militaire pour la concentration des diverses unités dans la formation du combat).

On ne saurait indiquer ici le nombre exact de locomotives, wagons et voitures employés pour chacun de ces transports au cours de la guerre. Aussi bien de tels chiffres ne donneraient ils pas, par eux-mêmes, une idée exacte de la tâche immense remplie par nos réseaux.

Des observations d'ordre général sur la quantité de matériel roulant nécessaire au transport d'unités militaires types, sur la différence de rotation entre les transports commerciaux du temps de paix et les transports militaires, jointes à quelques exemples typiques du mouvement de celle dernière catégorie de transports, éclaireront mieux le lecteur sur l'immensité de l'effort accompli par nos réseaux durant la guerre que la reproduction de chiffres et de nombres multiples.

Et tout d'abord quel est le nombre de trains et de wagons nécessaires au chargement d'une unité de guerre ? Un corps d'armée à l'effectif de guerre exige pour le transport de ses unités de combat, en dehors des parcs et des convois administratifs, une moyenne de 80 trains et de 4 000 wagons.

Or, en vingt jours, pendant la période de mobilisation et de concentration, 44 corps d'armée ont été dirigés sur notre front. C'est donc 168 000 wagons environ qui ont été employés au transport de ces 44 corps. Et ne sont pas comprises dans ces 44 corps les troupes coloniales.

Nous nous bornerons, pour donner une idée du transport des troupes au début de la guerre, à indiquer que quatre de nos grands réseaux, le PLM, l'Orléans, l'Est et le Nord, ont vu circuler, pendant la période de mobilisation et de concentration, 16 500 trains militaires.

En certains jours d'août 1919, certaines gares régulatrices du PLM orientèrent jusqu'à 200 trains, soit, en moyenne, plus d'un train toutes les huit minutes, et l'Est en fit circuler près de 400 journellement, soit plus d'un train par quatre minutes.

Le réseau du Nord a transporté, pendant la durée delà guerre, plus de 60 millions d'hommes de troupe, sans parler de tous les autres transports militaires et des transports civils.

Du 2 au5 août 1914, notamment, il a mis en marche 3 320 trains, qui ont transporté 870 000 hommes, 19 000 officiers, 277 000 chevaux et 70 800 canons, caisses et voitures.

Ces chiffres donnent une idée de l'effort fourni par le réseau au début de la guerre. Cet effort ne s'est d'ailleurs pas ralenti jusqu'à la fin des opérations.

Citons quelques autres chiffres du mouvement des trains sur ce réseau. Du 6 au 19 août 1914, plus de 1 000 trains de ravitaillement sont mis en marche, du 1er au 13 octobre 1914, au plus fort de la course à la mer, 1 271 trains de troupes combattantes !

Pour l'offensive de Champagne de l'automne 1915, plus de 2 000 trains de troupes circulèrent sur le réseau. Cet effort devait être considérablement dépassé lors de la bataille victorieuse de la Somme en 1916, qui exigea 6 768 trains de troupes.

Ces chiffres ne donnent malgré tout qu'une faible idée des prodiges accomplis par nos Compagnies du Nord et de l'Est pendant la guerre et on ne peut que former le souhait qu'un jour prochain on publie l'historique complet de l'activité de ces Compagnies durant les hostilités.

Ce ne sera pas l'un des chapitres les moins glorieux de l'histoire de la France pendant la guerre.

Transports de Troupes

Les transports militaires durant la période des opérations de guerre se sont faits en majeure partie par voie ferrée, même à proximité du front, perpendiculairement à la ligne de feu ou en rocade, parallèlement à cette ligne. Suivant les cas d'espèce, le parcours des troupes par voie ferrée a été plus ou moins long.

La première opération militaire qui ait suivi la période de concentration des troupes a été la retraite de Charleroi : sur chaque ligne ferrée, suivant l'axe de la retraite, le nombre quotidien de trains qui y ont aidé a été de 120 à 170. Puis vint la bataille de la Marne. La nécessité de renforcer notre aile gauche, au nord-est de Paris, de trois corps d'armée empruntés à l'armée des Vosges, entraîna la circulation sur le front, d'Est en Ouest, d'un nombre quotidien de trains qui s'éleva, parfois, jusqu'à 170.

Pour résister ensuite à la ruée ennemie sur l'Yser et gagner la course à la mer, nos chemins de fer eurent à transporter près de 70 divisions sur un parcours variant de 65 à 400 kilomètres, d'où un mouvement de plus de 6 000 trains dont la rapidité et l'exactitude ont été la cause primordiale de l'échec des allemands dans leur marche sur Calais.

La bataille de Verdun, celles de la Somme, celles des Flandres, celles de Champagne ont exigé aussi l'emploi d'un important matériel de chemin de fer. Il en a été, enfin, de même pour la bataille générale de juillet à octobre 1918 qui nous a conduits a la Victoire complète et définitive.

Ce que nous pouvons dire de l'activité d'un réseau de l'arrière, celui de l'Orléans, en ce qui concerne les transports militaires, illustrera particulièrement bien l'importance militaire des chemins de fer au cours de la guerre.

En août et septembre 1914, les transports de mobilisation et de concentration terminés, l'Orléans a formé à Bordeaux et acheminé sur Juvisy 30 trains pour le transport d'une division marocaine, et 50 trains pour le transport de divisions territoriales en provenance de Bordeaux et de Nantes, 22 trains de troupes du Midi, de Montauban à Juvisy. En septembre, l'Orléans assure, de Montauban à Orléans, le transport, par 201 trains de troupes indiennes et de 30 trains de ravitaillement, 350trains chargés ont été expédiés de la base anglaise de Saint-Nazaire vers le Nord en août et septembre.

En 1915, cette Compagnie met en marche 30 000 trains et transporte 3 700 000 officiers et soldats et 583 000 chevaux.

En février et mars 1916, lors de la ruée allemande sur Verdun, elle dirige vers l'Est, par la ligne de Massy à Valenton, 230 trains de troupes, à la densité de 40 trains par 24 heures à certains jours.

Lors de l'offensive de la Somme, en octobre suivant, 150 trains sont expédiés par la même voie à raison de 24 trains par 24 heures.

En 1917, l'Orléans eut à fournir 68 trains vides de 40 wagons pour aider au transport des divisions vers l'Italie.

Quand l'ennemi fit son dernier grand effort sur le Chemin des Dames, au printemps de 1918, le même réseau, en deux mois, mars et avril, dut diriger 400 trains par Massy-Valenton, et 350 au cours des trois mois suivants.

Le plus grand effort exigé de cette Compagnie au point de vue des transports militaires, l'a été au cours de la dernière année de la guerre et a concerné les transports américains. Il s'est superposé aux transports du ravitaillement français qui pesaient déjà lourdement sur le réseau.

En octobre 1918, les Américains ont chargé sur le réseau d'Orléans 31 000 wagons, et rien que dans les ports desservis par ce réseau plus de 17 000 wagons. Une seule station magasin de la base américaine, celle de Gièvres, sur la ligne de Tours à Vierzon, a reçu, durant ce mois, 25 327 wagons et en a réexpédié aux armées 15 183 !

Dans son rapport relatif à l'effort des réseaux pendant l'année 1918, M. le Ministre des Travaux publics relate que, sur l'ensemble de l'Orléans, les wagons chargés par les services américains sont passés de 13 000 en 1917 à 130 000 en 1918.

« Le général Pershing, déclarait M. Claveille à la tribune de la Chambre, le 9 mai dernier, a bien voulu me faire part de l'opinion excellente qu'il a conservée du service des transports, et il m'a rappelé lui-même qu'en juillet 1918 le tonnage américain débarqué par jour dans les ports français atteignait déjà 18 000 tonnes et que ce chiffre s'élevait à 45 000 tonnes en octobre ».

Il convient de rappeler, si l'on veut apprécier la difficulté de la tâche de nos réseaux, que, sur le front français, un très grand nombre de locomotives et de wagons ont été immobilisés pour les besoins des armées. M. Sembat, Ministre des Travaux publics, disait à la Chambre, dans la séance du 16 décembre 1916, que le nombre des wagons ainsi immobilisés avait été de 20 000 en moyenne jusqu'à la lin de 1915, et qu'à certains moments, ce nombre s'était élevé à 40 000. Pendant la période décisive des hostilités, au cours de l'été et de l'automne de 1918, c'est aux environs de ce dernier chiffre qu'il faut évaluer le nombre des wagons retenus sur notre front pour les besoins militaires.

D'autre part il convient d'observer que le matériel de nos chemins de fer n'a pas circulé seulement entre les dépôts de mobilisation et le front français, ou d'un point à l'autre de ce front, mais que des transports militaires ont du être faits vers un autre front de guerre, le front italien, et que ces transports ont du être exécutés à l'improviste pour envoyer en toute hâte des troupes françaises et anglaises en renfort à la suite de l'invasion du Frioul. Ce fut un merveilleux chef-d'oeuvre d'improvisation que le transport, à la fin d'octobre 1917, par le réseau du PLM, sur la Haute-Italie, en quatre jours, de 120 000 hommes pris sur le front français, avec leur artillerie et tout leur matériel de guerre. Moins de deux heures après l'ordre donné par le Comité de Guerre, 12 000 wagons et 500 locomotives partaient, de tous les points du réseau et gagnaient le Nord-Est. Vingt-quatre heures plus tard, ils se trouvaient formés en trains à leur poste à l'arrière du front. Du 30 octobre au 13 décembre il a été fait 1 529 trains sur Modane, Briançon, Nice et au delà. Le transport des hommes et du matériel une fois achevé, le ravitaillement général de l'armée franco-anglaise de Lombardie exigea l'emploi de plusieurs milliers de wagons et de 200 locomotives.

Transports de ravitaillement

Ce n'est point tout, en effet, que de transporter les troupes avec leur matériel de guerre; il faut les maintenir perpétuellement en bon état de ravitaillement. Ces troupes et ce matériel ont besoin de recevoir sans cesse les munitions, les vivres, les vêtements, les harnachements nécessaires à leur entretien, sans compter les paquets, les lettres et les journaux adressés aux soldats par leurs familles et leurs amis.

Quelques chiffres donneront une idée de l'activité qu'a imposée à nos réseaux l'obligation d'assurer ce ravitaillement. L'Orléans, en 1915, a transporté 385 000 wagons complets pour l'armée. Le Midi, de 1915 à 1916, a vu passer de 617 000 à 1 461 000 le nombre des tonnes de ravitaillement pour l'armée qu'il a transportées. Sur le Nord, plus de 60 000 trains de ravitaillement et de munitions ont circulé rien qu'en 1915. Pour les années suivantes ces nombres se sont encore très notablement accrus.

Ajoutons à cela le développement formidable des usines de guerre, développement dont les chiffres ci-après donneront la mesure. Sur un réseau du centre, rien que de 1915 à 1910, le nombre des titulaires de cartes hebdomadaires d'ouvriers a doublé, passant de 283 000 à 560 000.

Nombre des trains de ravitaillement :

  • PLM :
    • 1914 : 4 851,
    • 1915 : 6 706,
    • 1916 : 8 411,
    • 1917 : 7 978,
    • 1918 : 9 806,
  • Nord :
    • 1914 : 6 636,
    • 1915 : 36 006,
    • 1916 : 51 370,
    • 1917 : 44 113,
    • 1918 : 22 292 au 1er semestre,
  • Midi :
    • 1914 : 775,
    • 1915 : 1 839,
    • 1916 : 2 854,
    • 1917 : 2 972,
    • 1918 : 1 243 au 1er semestre,
  • Est :
    • 1914 : 5 287,
    • 1915 : 29 017,
    • 1916 : 33 152,
    • 1917 : 28 006,
    • 1918 : 23 032.

Notons que si le nombre des trains a diminué sur le Nord et l'Est au cours de 1917 et de 1918, cela tient à un meilleur groupement du matériel et non à une diminution du tonnage.

Transports sanitaires

S'il faut conduire les combattants au feu et les ravitailler, il faut aussi hélas évacuer les blessés du front de combat. Les transports sanitaires nécessitent la formation de nombreux trains spécialement aménagés dans ce but. L'obligation d'y disposer un grand nombre de couchettes pour les grands blessés fait qu'à nombre de voitures égal, ces trains transportent naturellement beaucoup moins de personnes qu'un train de combattants.

Dès le début de la mobilisation on avait mis en service des trains sanitaires dits permanents à intercirculation, prévus dès le temps de paix. Ces trains étaient composés chacun de 23 véhicules dont 16 pour les blessés. Des trains semi-permanents et des trains improvisés très améliorés, composés, les premiers de 21 véhicules et les seconds de 39, ont été mis ultérieurement en service. Peu à peu les trains improvisés furent de moins en moins employés, mais les trains du type semi-permanent le furent de plus en plus.

La circulation des trains sanitaires sur les réseaux touchant au front donne une idée exacte de l'importance de ce trafic particulier.

En1914, le réseau du Nord (total de la circulation soit en voitures chargées, soit à vide) en voyait circuler 3 007 sur l'Est, 792.

En 1915, il en circulait, sur le Nord : 17 006 et 10 736 sur l'Est. Pour chacune des trois dernières années de la guerre, le nombre de trains et de voitures, a été, sur l'Est, de 8 594 en 1916, 5 412 en 1917, 7 360 en 1918. Sur le Nord, le nombre des trains sanitaires a varié entre 15 000 et 15 800. Le nombre des voitures d'un train sanitaire est d'environ 30.

Transport des permissionnaires

Le transport des permissionnaires a exigé, de son côté, l'emploi d'un grand nombre de trains, qui n'a cessé d'augmenter considérablement d'année en année.

Le réseau du Midi, qui n'avait fait circuler aucun train spécial de permissionnaires dans les années 1914 et 1915, en assurait 219 en 1916 et 2 225 en 1917.

Le PLM n'en signale point en 1914, en 1915 il en relève 1400, 5 100 en 1916, 10 900 en 1917 et 10 800 en 1918. « A la fin de 1918, lit-on dans le Rapport Annuel du Conseil d'Administration du PLM, les seuls trains de permissionnaires, sur notre réseau, comportaient un parcours journalier de 13 000 kilomètres, soit plus du cinquième du parcours des trains de voyageurs du réseau ».

L'Est en a vu circuler 3 750 en 1915, 19 200 en 1916, 34 700 en 1917 et 30 600 en 1918.

Le Nord les évalue à 4 200 environ en 1915, à 11 800 en 1916, à 28 000 en 1917, à 18 800 en 1918. Il note que le nombre des trains de permissionnaires ayant circulé à vide est d'environ 9% du nombre de ceux qui ont circulé chargés.

L'Orléans déclare avoir transporté comme permissionnaires en provenance du front, 233 000 hommes en 1915, 1 215 000 en 1916, 2 082 000 en 1917, 1 200 000 en 1918.

L'Etat a assuré 388 trains de permissionnaires en 1915, 1 355 en 1916, 5 500 en 1917, 5 700 en 1918.

Trains de démobilisation

Depuis la signature de l'armistice la démobilisation a commencé, mais, naturellement, n'étant pas générale, elle ne se présente pas, au point de vue des transports, comme la contrepartie de la mobilisation. Elle n'exige point l'effort énorme et simultané de la mobilisation. Elle n'en est pas moins cependant un élément très notable de la crise des transports puisque, depuis l'armistice, et jusqu'à ce qu'elle ait été suspendue au printemps, la démobilisation française avait porté en moyenne sur 600 000 hommes par mois. Plusieurs centaines de mille américains et anglais ont été également démobilisés et par conséquent transportés de leurs dépôts de France à leur port d'embarquement.

Conditions d'utilisation du matériel affecté aux transports

Il convient, d'ailleurs, de faire, en ce qui concerne les transports militaires par voie ferrée, une remarque d'ordre général très importante si l'on veut ne pas s'exposer à tomber dans de graves erreurs pour apprécier la charge exceptionnelle que ces transports ont imposée aux réseaux.

Quand on compare entre eux le trafic commercial de deux réseaux, considéré chacun dans son ensemble, on ne risque pas de se tromper très lourdement en supposant, d'une manière générale, que la rotation, l'usure, l'immobilisation des wagons sont sensiblement les mêmes. Mais cette supposition serait complètement inexacte, elle serait même tout à fait erronée dans la comparaison du trafic militaire avec le trafic commercial du temps normal.

Les transports militaires comportent des conditions spéciales de chargement, de durée de voyage, de rotation et d'usure du matériel. Les immobilisations de wagons, les retours à vide sont incomparablement plus fréquents, l'usure des véhicules est beaucoup plus intense pour les transports militaires que pour le trafic commercial, et, par conséquent, à nombre égal de voyageurs et de tonnes de marchandises, le trafic militaire grève beaucoup plus lourdement le service que ne le fait le trafic commercial. Or, comme, en fait, le trafic desservi par les grands réseaux a dépassé, au total, de 50 %, au cours de la guerre, le trafic du temps de paix et que le trafic commercial a été largement réduit, on en peut conclure que la majeure partie du matériel des réseaux a été employée aux transports militaires et a eu un emploi utile inférieur à celui du temps de paix par suite de rallongement extraordinaire de sa rotation, en même temps que le matériel subissait une usure beaucoup plus grande qu'en période normale.

Matériel

Diminution du parc de matériel

Notre parc national s'est trouvé amoindri, dés le mois d'août 1914, de près d'un septième du nombre des wagons et voitures qu'il représentait au début des hostilités. On estime, en effet, à environ 50 000 le nombre des véhicules dont l'ennemi a pu s'emparer lors de l'invasion du nord et du nord-est de la France. Il saisit également une centaine de locomotives. En revanche, nous n'avons pu disposer que de 10 000 wagons étrangers (7 000 belges et 3 000 allemands).

D'autre part, l'usure du matériel roulant, dont nous indiquions plus haut une des causes, a, concurremment avec la difficulté et le prix de revient élevé des réparations, contribué à augmenter notablement la quantité de matériel à réformer et celle des immobilisations pour réparations.

Matériel réformé

  • Locomotives. Alors que, de 1911 à 1913, le nombre moyen annuel des locomotives réformées, qui était très faible avant la guerre pour des raisons sur lesquelles il serait trop long de s'étendre ici, n'était que de 15, il a atteint 894 du 1er janvier 1914 au 1er janvier 1919. C'est dire qu'il a plus que décuplé, puisqu'il s'est accru dans la proportion de 1 à 12.
  • Wagons. Le nombre des wagons réformés avait été, en moyenne, de 937, par année, de 1911 à 1913. Il a été de 24 976 du 1er janvier 1914 au 1er janvier 1919. Il s'est donc accru dans la proportion de1 à 5 et demi.

Il a fallu, comme le montrent ces chiffres, réformer proportionnellement beaucoup plus de locomotives que de wagons, et cela s'explique aisément. Deux causes spéciales d'usure et de détérioration sont intervenues en ce qui concerne les locomotives : la mauvaise qualité du charbon et la « banalisation ».

Les locomotives, en effet, ont cela de commun avec les chevaux qu'elles ne sont bien conduites et bien ménagées que par leur conducteur, leur mécanicien ordinaire. Rien de plus commun que de voir un cheval fourbu par le fait qu'il a été confié à un cocher ou a un cavalier qui ne connaît pas bien la bête qu'il conduit. Banaliser une locomotive, c'est la confier successivement à plusieurs mécaniciens, qui, ne la connaissant pas à fond dans ses parties faibles, ont vite fait de la détraquer en la « poussant » trop, et en ne l'entretenant pas comme il convient.

Matériel immobilisé pour réparations

Les mêmes raisons, et de plus le manque de matières et d'ouvriers spéciaux, ont eu pour résultat d'empêcher d'exécuter, au fur et à mesure des besoins, les petites réparations courantes qui dispensent d'immobiliser le matériel pour des réparations plus importantes. Aussi les immobilisations du matériel roulant, pour réparations, ont-elles augmenté, mais, cependant, à tout prendre, dans des proportions qui n'ont rien eu d'excessif eu égard aux circonstances.

  • Locomotives. On estimait le nombre des locomotives immobilisées annuellement pour réparations avant la guerre à 1 570. Au cours de la période quinquennale 1914-1918, la moyenne annuelle a été de 2 199, soit 40 % d'augmentation. En fait, durant les trois premières années de cette période, le nombre des locomotives immobilisées pour réparations s'est trouvé inférieur au nombre d'avant-guerre. C'est seulement vers la fin de 1916 qu'il a commencé à s'accroître (1 795 au 1er janvier 1917) ; puis, rapidement, le chiffre de ces invalides a augmenté (2 100 au 1er janvier 1918, 2 701 au 1er janvier 1919). Il y a une limite aux forces d'une locomotive comme aux forces humaines et, d'année en année, d'ailleurs, le charbon devenait plus mauvais.
  • Wagons. De même que l'accroissement du nombre des wagons réformés a été relativement bien moindre que celui des locomotives réformées, de même l'augmentation des immobilisations pour réparations a été moindre pour les wagons que pour les locomotives. La moyenne annuelle des immobilisations des wagons pour cette cause, pendant la période 1914-1918, n'a été que de 17 281 unités contre 14 840 avant la guerre. L'accroissement ne ressort, donc qu'à 16, 4 % contre 40 % en ce qui concerne les locomotives. D'ailleurs l'évolution, au cours de ces cinq années, a été, pour les wagons, la même que pour les locomotives. Il n'y avait que 10 080 immobilisations au 1er janvier 1915, 11 373 au 1er janvier 1916, 12 144 au 1er janvier 1917,c'est-à-dire moins qu'avant la guerre. La moyenne d'avant-guerre n'a été dépassée qu'au cours de l'année 1917; 18 889 immobilisations au 1er janvier 1918, puis 23 518 au 1er janvier 1919. A certains moments les immobilisations ont dû être toutefois plus considérables, car, à la séance, du 31 décembre 1918, de la Chambre des députés, M. Claveille déclarait qu'en 1917 il y avait eu 26 000 wagons immobilisés et il donnait le chiffre de 36 000 pour 1918.

Matériel commandé et matériel reçu par les réseaux durant la guerre

Les réseaux français d'intérêt général avaient fait avant la guerre des commandes importantes de matériel roulant qui représentaient une moyenne, par année, durant la période triennale 1911-1913, de : 591 locomotives et 17 285 wagons ; or nous avons vu plus haut qu'ils ne réformaient, durant le même temps (moyenne annuelle), que 15 locomotives et 937 wagons.

Ces commandes étaient échelonnées sur plusieurs années, comme le prouve la comparaison des chiffres du matériel reçu au cours de la période 1911-1913 avec celui du matériel commandé. De 1911 à 1913, nos réseaux avaient, en effet, reçu, chaque année, une moyenne de 29 locomotives et de 1 500 wagons.

Malheureusement une assez forte part de ces commandes n'a pu-être livrée dans les délais primitivement fixés, et une partie n'a même pu être livrée du tout parce qu'elle avait été commandée à des usines qui se trouvaient dans la région envahie ou à l'étranger.

De nouvelles commandes s'imposèrent d'autant plus qu'en mai 1915, le Directeur des Chemins de fer faisait savoir aux réseaux, autres que ceux du Nord et de l'Est, que le Général en Chef demandait à prélever 5 000 wagons sur la zone de l'intérieur pour faire face aux besoins des parties du territoire qu'on espérait alors délivrer rapidement de l'invasion, et il demandait à ces réseaux de bien vouloir commander, chacun pour leur compte, un certain pourcentage de ce total.

Les réseaux s'efforcèrent de satisfaire à ce désir. Mais il n'était pas possible de s'adresser à l'industrie nationale pour les commandes urgentes. Seul l'étranger fut à même d'exécuter au cours de la guerre les commandes passées par nos réseaux. « Pendant les années qui ont précédé la guerre, déclarait, le 9 mai dernier, à la tribune de la Chambre, M. le Ministre des Transports, les constructeurs français produisaient annuellement une moyenne de 15 000 wagons et de 575 locomotives. La guerre a duré cinquante quatre mois et, durant cinquante quatre mois, on n'a construit ni un wagon ni une locomotives. On aurait cependant voulu construire, mais au cours des hostilités, les ouvriers spécialistes étaient occupés et les matières premières exclusivement employées dans les usines de guerre pour les besoins les plus immédiats de la défense nationale. Et cela a été au grand détriment de nos chemins de fer.

L'oeuvre de ces derniers n'a été que plus méritoire. Je suis bien tranquille sur le jugement que l'histoire de la guerre portera sur eux.

Dès le moi s d'octobre 1915 on adoptait une formule financière en vertu de laquelle les compagnies qui s'engageaient à faire construire une certaine quantité du matériel roulant prenaient à leur charge la proportion du prix total correspondant, au prix d'avant-guerre plus 25 % de ce dernier prix, l'Etat parfaisant la différence entre la valeur ainsi établie et le prix coûtant de la commande.

Cependant les prix continuèrent à s'élever, il fallait aviser. Deux ans plus lard, on aboutit à une solution équitable par une convention passée le 30 novembre 1917 entré le Ministre de la guerre et les grands réseaux et que ratifia la loi du 20 avril 1918.

En vertu de cette convention, les six réseaux s'engageaient à faire construire chacun un certain nombre de locomotives, de tenders et de wagons qui, au total, se montait à 830 locomotives, 690 tenders et 32 965 wagons. L'État, qui était le principal intéressé dans ces commandes, puisque ce matériel devait servir, surtout, aux besoins de t'armée, s'engageait à fournir une participation représentant 40 % du prix de revient du matériel et, au maximum, la somme de 344 352 000 francs. Le matériel faisant l'objet de la convention devait être considéré comme appartenant au parc de chacun des réseaux a partir de la livraison, mais cependant immatriculé à part afin qu'en cas de rachat ou en fin de concession l'Etat n'eut à rembourser à chaque réseau que la différence entre la valeur de ce matériel et une proportion de cette valeur égale à celle prise par l'Etat dans la dépense totale d'acquisition.

D'autre part le réseau de l'Etat reçut mandat des Compagnies de se porter seul acquéreur sur le marché international de la construction du matériel roulant de toutes les commandes à passer au nom de différents réseaux français. Par ce procédé de coopération, nos réseaux devaient réduire au minimum le prix de revient du matériel ainsi commandé, car, d'une part, ils évitaient ainsi de faire augmenter les prix en se faisant concurrence, et, d'autre part, la commande unique étant plus grosse, des prix plus bas devaient pouvoir être obtenus des constructeurs.

Ainsi l'Etat et les réseaux gagnaient à la combinaison nouvelle : l'Etat, parce qu'il limitait sa participation financière à un pourcentage déterminé en même temps qu'à un maximum absolu de dépenses de ce chef, les réseaux, parce qu'ils recevaient cette aide financière et qu'en se groupant pour former une coopérative de commande et d'achat, ils devaient obtenir à des prix relativement moins élevés le matériel dont ils avaient besoin.

En vertu du contrat intervenu entre l'Etat et les réseaux, la répartition des 32 965 wagons, 830 locomotives et 690 tenders, était la suivante :

  • Etat :
    • Locomotives : 300,
    • Tenders : 250,
    • Wagons : 9 781,
  • PLM :
    • Locomotives : 220,
    • Tenders : 200,
    • Wagons : 8 685,
  • PO :
    • Locomotives : 220,
    • Tenders : 150,
    • Wagons :6 399,
  • Midi :
    • Locomotives : 40,
    • Tenders : 40,
    • Wagons : 3 000,
  • Nord :
    • Locomotives : 50,
    • Tenders : 50,
    • Wagons : 2 400,
  • Est :
    • Locomotives : 0,
    • Tenders : 0,
    • Wagons : 2 700.

Ce matériel est destiné à remplacer celui que l'usure effroyable du temps de guerre va obliger les réseaux à réformer en grandes masses, et l'on doit légitimement espérer que la proportion pour chaque année du matériel roulant reçu, par rapport au matériel roulant en commande, qui, pour les wagons, ne dépassait pas 10% dans la période d'avant-guerre, et qui a atteint 37% en 1914, 32% en 1915, 60% en 1916 et 75% en en 1917, se maintiendra désormais à un taux supérieur à celui d'avant-guerre.

Notons, d'ailleurs, à ce propos que la proportion du matériel livré au réseau de l'Etat était, par rapport au matériel des commandes en cours, à la date du 15 août 1917, pour les locomotives de 30%, les tenders de 29,6%, les voitures de 25,7% et les wagons de 27,2%.

La différence entre le chiffre des commandes et celui des réceptions tenait, d'une part, à ce que, pour une partie du matériel, la date de la livraison n'était pas encore arrivée, d'autre part, aux retards sur la date fixée pour les livraisons.

L'Administration du réseau de l'Etat faisait d'ailleurs remarquer que les liens de dépendance qui l'unissent à l'Etat l'avaient mise dans l'obligation de passer des contrats que le seul intérêt commercial du réseau ne commandait pas.

Les exigences de la guerre principalement justifiaient ces contrats, car, ainsi que nous allons le voir, en étudiant la manière dont a été conduite l'exploitation commerciale de nos réseaux et, ensuite, la crise des transports, nos réseaux n'ont jamais souffert d'une pénurie absolue de wagons, et ils ont été plus gênés par l'insuffisance numérique du personnel de conduite des locomotives que par le manque de locomotives. Au début de l'année, 10 000 wagons de 20 tonnes avaient été commandés en France et en Amérique. leur livraison doit s'échelonner sur deux années, de mars 1919 à février 1921.

Mesures prises pour la reconstitution du matériel roulant

Nous parlerons plus loin de l'effort qu'exige la remise en état des réseaux et des mesures d'ordre financier prises à cet égard. L'effort technique à faire dans ce sens est considérable.

Différentes mesures ont déjà été arrêtées par les administrations des réseaux pour l'activer et la faciliter. C'est ainsi qu'elles ont pris le parti de recourir, dans la plus large mesure, à l'industrie privée pour la remise en état du matériel roulant. Si cette aide n'a pas été aussi efficace qu'on le souhaiterait pour la réparation des locomotives et des voitures à voyageurs, elle a déjà donné des résultats appréciables pour la réparation des wagons, ainsi que cela résulte des déclarations récentes de M. le Ministre des Travaux publics. « La loi du 10 janvier 1919 disait M. Claveille (séance du 10 mai 1919) m'a permis d'insister de la façon la plus pressante auprès de tous les réseaux pour que les réparations du matériel roulant soient confiées sans retard aux ateliers de l'industrie privée ou de l'Etat. En fait on a donné des locomotives et des véhicules à réparer à tous ceux qui ont bien voulu se charger des réparations. Je puis affirmer aujourd'hui qu'une oeuvre considérable est entreprise pour la réparation du matériel ».

Pour hâter la réparation du matériel, deux grands réseaux, ceux du PLM et de l'Orléans, sont entrés récemment dans une voie nouvelle en constituant, avec trois grandes sociétés de construction, une société pour la réparation de leur matériel.

Il convient de citer, dans un ordre d'idées analogue, une autre initiative prise par quatre de nos grands réseaux, ceux de l'État, du PLM, du PO, du Midi, en ce qui concerne la construction du matériel roulant. Depuis longtemps on avait critiqué la diversité des types de matériel et réclamé leur unification. Au cours de l'année 1918 des études ont été poursuivies dans ce sens par les réseaux, à la diligence du Ministère des Travaux publics. Elles ont abouti aux résultats ci-après. En ce qui concerne les rails, les commandes nouvelles seront limitées à trois types: le rail de 46 kg au mètre courant pour les voies normales à grande circulation, le rail de 36 kg pour les voies normales à moyenne et faible circulation, le rail de 26 kg pour les voies d'un mètre d'intérêt général.

  • En ce qui concerne les types du matériel roulant, l'unification porte:
    • sur les organes élémentaires (suspension, ressorts, roues, bandages, essieux, attelages, appareils de choc et de traction, boîtes, organes de freinage) entrant dans la constitution des unités complètes,
    • sur les unités complètes (locomotives, voitures et wagons) suivant un nombre minimum de types se différenciant uniquement par leur adaptation respective aux différents besoins de l'exploitation, mais non par les réseaux sur lesquels ils doivent être employés.

Entrant plus avant dans la voie de l'unification, les grands réseaux indiqués ci-dessus viennent de constituer un bureau d'études commun qui permettra de réaliser des simplifications dans les services de cette nature des réseaux intéressés, d'obtenir l'unité des types et par là une meilleure exploitation et un entretien plus facile.

Nous ne pouvons passer sous silence une autre initiative de nos grands réseaux. On sait qu'avant la guerre l'industrie française n'était pas en état de fournir aux réseaux tout le matériel dont ils avaient besoin, surtout en ce qui concerne les locomotives. Par suite nous étions obligés de passer des commandes à l'étranger, ce qui n'allait pas sans soulever, chaque fois, des protestations, notamment de la part de nos constructeurs. Grâce au développement de l'outillage de la grande industrie mécanique réalisé pendant la guerre, on peut espérer que celle-ci sera dorénavant mieux en mesure de satisfaire aux besoins de nos réseaux. Mais il n'est pas possible que ceux-ci soient obligés de subir la loi des constructeurs si les prix demandés par eux sont notoirement exagérés par rapport aux conditions du marché.

Pour concilier les intérêts en présence, les grands réseaux ont passé avec les constructeurs une convention d'après laquelle les commandes de matériel seront en principe réservées aux constructeurs français. Lorsque le réseau n'aura pu s'entendre avec les constructeurs au sujet des prix, il sera procédé à un arbitrage dans des conditions qui ont été déterminées par la convention.

Ce n'est qu'après l'arbitrage que le réseau pourra s'adresser à l'étranger s'il n'accepte pas la décision de l'arbitre. Cette convention facilitera la tractation entre les grands réseaux et les constructeurs, elle mettra fin à bien des difficultés. Tout en réservant aux constructeurs français un droit de préférence, elle maintient, dans des limites équitables, la faculté pour les réseaux de s'adresser a l’étranger.

Entretien et remise en état des voies et des installations des réseaux

Si les réseaux n'ont pas éprouvé autant de difficultés d'exploitation du fait de l'état des voies que par suite de l'usure du matériel roulant, il faut reconnaître cependant que les voies et les installations de toute nature qu'exigent la sécurité et la régularité de l'exploitation réclament, pour leur mise en état, un effort non moins considérable que le matériel roulant. Ce ne sera pas l'oeuvre d'un jour, mais déjà nos réseaux ont pris toutes les dispositions utiles pour hâter l'exécution du programme des travaux nécessaires.

Il y a d'abord à refaire le tiers de l'ensemble des réseaux du Nord et de l'Est détruit par l'ennemi.

Toutes les installations de chemins de fer comprises entre la ligne extrême du front, en 1918, jusqu'à la frontière, ont été dévastées, en majeure partie, d'une façon systématique.

Les Allemands ont fait sauter tous les ponts et ouvrages d'art et ont détruit non seulement les voûtes ou les tabliers métalliques, mais les piles et les culées jusque dans leurs fondations. Ils ont fait sauter tous les aiguillages et ont été jusqu'à détruire la voie courante, en la mettant, le plus souvent, dans un état tel qu'il n'y a plus qu'à déblayer complètement la plateforme pour la remplacer. Tout le matériel, l'outillage et les approvisionnements des gares de la région envahie ont été détruits ou enlevés.

Pour l'ensemble des réseaux du Nord et de l'Est, M. Claveille, dans son rapport au Président de la République en date du 13 mars 1919, fixait la longueur des lignes détruites ou endommagées à 2 901 kilomètres et la longueur des voies simples à 5 600 kilomètres, soit le tiers de la longueur totale exploitée en 1913.1 par ces deux réseaux. 1 510 ponts, 12tunnels, 590 bâtiments et 150 réservoirs d'alimentation ont été détruits.

Les ateliers de construction et de réparation de machines, voilures et wagons à Hellemmes, (près de Lille réseau du Nord) ont été vidés de leur outillage et de leurs approvisionnements.

Les ateliers de Tergnier, Lens, Amiens, Epernay, Roye, Mohon ont été mis hors d'usage, définitivement ou pour longtemps. Tous les dépôts de locomotives situés dans la zone occupée par l'ennemi ont été totalement ou partiellement détruits. En somme les organes vitaux du chemin de fer ont, sur le réseau du Nord, et, dans une moindre mesure, sur le réseau de l'Est, été mis hors d'usage.

La signalisation de toute la zone occupée par l'ennemi avait disparu lorsque cette zone a été réoccupée, tous les postes d'enclenchement dans cette zone ont du être reconstruits, les lignes télégraphiques ne formaient plus qu'un amas informe de fils.

Pour le rétablissement des lignes, les travaux ont été divisés en deux phases : la remise en état, permettant d'établir la continuité du rail, a été confiée aux troupes de sapeurs de chemins de fer, encadrant des bataillons territoriaux et la main-d'oeuvre auxiliaire, la reconstruction proprement dite a été laissée aux soins des services de la voie des réseaux et aux entrepreneurs spécialistes qui leur prêtent leur collaboration.

Grâce à l'activité des uns et des autres, la réfection des voies est très avancée déjà. Le 1er février dernier, sur 2 901 km détruits, 2 155 étaient rétablis, soit 75%. Depuis lors le travail à faire sur le dernier quart a été à peu près terminé et la circulation a pu être reprise dans des conditions satisfaisantes sur la plupart des voies. Il convient de ne pas oublier de rendre justice au concours que nous ont prêté, dans cette oeuvre, les armées du Royaume-Uni et des Etats-Unis.

Dans un nouveau rapport, en date du 6 juillet 1919, M. Claveille pouvait faire les satisfaisantes constatations suivantes en ce qui concerne les mesures prises pour la remise en état des voies ferrées saccagées par l'ennemi :

« Sur le réseau du Nord, à la date du 1er juillet, sur 583 kilomètres de lignes à double voie et sur 521 kilomètres de lignes à voie unique, 569 kilomètres de lignes à double voie et 521 kilomètres de lignes à voie unique ont été rétablis. Il ne reste donc plus à rétablir que 14 kilomètres de lignes à double voie et 8 kilomètres de lignes à voie unique, soit environ 1 % de l'ensemble des réparations imposées par les destructions de l'ennemi. L'exploitation a pu reprendre sur presque toutes les lignes (sauf sur 166 kilomètres) et 15 gares seulement restent à rétablir. La réparation définitive des 1 180 ponts et des 5 tunnels détruits se poursuit activement. Des ponts provisoires ont été posés sur les culées et piles déjà rétablies définitivement, en attendant, la livraison des ponts métalliques.

Sur le réseau des mines il y avait 230 kilomètres de voies à réparer au moment de l'armistice, actuellement, 125 kilomètres de lignes sont rétablis, le reste est en cours d'exécution.

Sur le réseau de l'Est, au 1er juillet 1919, et depuis l’armistice, on avait réparé : 721 kilomètres de lignes à double voie, 513 kilomètres de lignes à voie unique. Il reste à rétablir 175 kilomètres, de lignes à double voie et 54 kilomètres de lignes à voie unique, soit environ 10 % des réparations totales. L'exploitation a été reprise partout sauf pour 42 gares. Les réparations de certaines sections des lignes sur le réseau de l'Est présentent des difficultés particulières en raison de l'importance des ouvrages d'art détruits. Sur la Meuse, il a fallu attendre la fin de la crue qui a duré jusqu'au milieu de mai pour être fixé sur la nature exacte des destructions des culées et piles des ponts.

Sur l'ensemble des réseaux reconstitués, on a pu assurer progressivement un trafic relativement important. »

Pendant la guerre on avait du déséquiper certaines lignes ou certaines voies et transporter leurs rails sur le front. Leur rééquipement est en cours.

Signalons encore ici une intéressante initiative de nos réseaux. Pendant la guerre, ceux-ci avaient éprouvé de grandes difficultés à se procurer des traverses en bois pour les voies. L'état déplorable de nos forêts, à la suite de l'exploitation intensive et mal réglée dont elles viennent d'être l'objet, ne permet pas d'espérer une amélioration prochaine à la situation dont nos réseaux ont souffert. Pour y remédier dans la mesure du possible, ils viennent de constituer une société pour l'exploitation des forêts de nos possessions africaines. En même temps qu'elle procurera à nos réseaux des facilités dont ils ont besoin, cette initiative favorisera la mise en valeur de nos colonies. A ce double titre on ne peut que l'approuver.

Electrification des réseaux

Nos grands réseaux, du moins ceux d'entre eux qui y étaient intéressés par la topographie des régions qu'ils desservent, ont également étudié pendant la guerre le problème de l'électrification d'une partie de leurs lignes, opération si désirable lorsqu'on songe à la nécessité où se trouve la France d'économiser la plus grande quantité possible de combustibles.

  • Le programme arrêté comporte l'électrification de 8 400 kilomètres de lignes ainsi réparties :
    • Midi : 3 100 kilomètres sur 4 062 ;
    • PLM : 2 200 kilomètres sur 9 720 ;
    • PO : 3. 00 kilomètres sur 7 787.
  • Les sources d'énergie envisagées sont les suivantes :
    • pour le Midi : les Pyrénées,
    • pour le PLM : certaines chutes spéciales du Plateau Central et des Alpes,
    • pour le PO : la Haute-Dordogne et ses affluents.
  • La dépense envisagée est la suivante, d'après les prix d'avant-guerre :
    • Midi : 465 millions,
    • PLM : 740 millions,
    • PO : 470 millions, Soit au total 1.675 millions.

L'économie de charbon serait de 1 500 000 tonnes par rapport au trafic de 1913, elle ne paraît pas devoir être inférieure à 3 millions de tonnes dans un avenir rapproché.

Lignes nouvelles

En dehors des travaux de gares et des ouvrages d'un caractère militaire, il a été construit, pendant la guerre, dans les régions du Nord et de l'Est, 1 658 kilomètres de lignes nouvelles, dont 1 612 à voie normale.

  • Indépendamment des lignes nouvelles dont la construction avait été prévue avant la guerre et qui vont être entreprises, deux grandes opérations sont à l'étude, qui ont déjà recueilli l'avis favorable du Conseil supérieur des Travaux Publics et fait l'objet d'une décision ministérielle :
    • l'amélioration des relations par voie ferrée entre la Suisse et l'Océan, amorce del a ligne du 45° parallèle, qui assurera des relations directes entre l'Océan, la France, l'Italie, la Yougoslavie, Bucarest, Odessa, avec embranchement vers Athènes et Constantinople, sans emprunter les territoires allemand et autrichien;
    • l'établissement de nouvelles traversées des Vosges, permettant de meilleurs relations avec l'Alsace, par la liaison de la ligne de Remiremont à Bussang à la ligne de Kruth à Mulhouse, au moyen d'une jonction partant de Saint-Maurice et aboutissant à Wesserling, et par la construction d'une ligne allant de Saint-Dié à Saales.

Sans attendre l'amélioration des relations entre Bordeaux et Lyon, un train international, le nouvel Orient-Express, a déjà été mis en marche entre Paris et Trieste, avec une branche de Bordeaux à Lyon.

On projette également la construction d'une nouvelle ligne entre Rouen et le Havre.

Enfin, grâce à l’adhésion du gouvernement britannique, qui paraît maintenant acquise, on peut espérer que la grande oeuvre du Tunnel sous la Manche, qui provoquera un développement important dans les relations d'affaires entre la Grande-Bretagne et le continent, spécialement avec la France, ne tardera pas désormais à être entreprise.

Services annexes

Opérations du réseau des chemins de fer de l'Etat pour l'importation et le transport des charbons

Lorsqu’il apparut, dans le courant de l'automne de 1914, que l'ennemi ne pouvait être chassé immédiatement des régions minières qu'il avait envahies dans le Nord de la France, le Gouvernement dut songer à introduire dans le pays de grandes quantités de charbons anglais pour assurer aux usines de guerre et autres usines, ainsi qu'à la population, le combustible indispensable.

Afin d'éviter la création d'un organisme nouveau, on eut tout d'abord l'idée de charger le réseau des chemins de fer de l'État de l'importation des charbons nécessaires au ravitaillement de la population civile et de la vente de ce charbon. Ce fut l'objet du décret du 4 décembre 1914, qui, en même temps qu'il autorisait le réseau à entreprendre ce service, lui ouvrait à cette fin un crédit spécial de 15 millions. Un décret du 9 janvier suivant donna au directeur du réseau de l'Etat pleins pouvoirs pour fixer le prix de vente des charbons et des cokes et édicta les formes de comptabilité des opérations à effectuer.

A la date du 15 mai 1915 on constatait la réception de 500 000 tonnes de charbons destinés à ce ravitaillement. Ce chiffre s'élevait à 1 593 000 tonnes au 31 décembre de la même année.

On affecta au stockage de ces combustibles tous les ports desservis par le réseau de l'Etat ainsi que certains dépôts de l'intérieur et on étendit même les réceptions au port de Dunkerque et à tous les ports du Midi.

Les municipalités et les usines métallurgiques figuraient parmi les clients qui avaient le droit d'être pourvus de charbon, de cokes et de briquettes par l'intermédiaire de l'administration des chemins de fer de l'Etat.

Les arrivages de combustibles anglais atteignaient 2 967 000 tonnes au 31 juillet 1916, dont 1 925 000 furent livrées au commerce, à l'industrie, aux particuliers et aux établissements publics.

Grâce aux stocks accumulés par l'administration des chemins de fer de l'Etat, beaucoup d'industries, menacées d'arrêt du fait de l'insuffisance des arrivages, ont pu continuer à travailler. Cependant il parut utile d'enlever au directeur du réseau, pour en charger une Commission spéciale, le soin de déterminer le prix de vente des différentes catégories de charbons achetés sur le fonds du crédit spécial. Ce fut l'objet du décret du 5 février 1916.

D'autre part, l'administration des chemins de fer de l'Etat reçut, en 1916, la charge d'organiser le contrôle d'une flotte auxiliaire pour le transport en France des charbons anglais. A cette fin cette administration passa un contrat, basé sur le système de la régie, avec une société spéciale composée de personnalités compétentes en matière maritime. Cette société se constitua définitivement, le 29 juin 1916, sous la dénomination de Société Maritime Nationale. Ses opérations étaient limitées à l'Atlantique. Toutes les recettes et toutes les dépenses de ce service nouveau devaient être effectués par la dite société pour le compte du réseau et rattachées par celle-ci au compte du crédit spécial. Le 16 novembre 1916,1e Ministre des Travaux Publics donna son approbation à cette organisation.

Malgré l'institution du Bureau National des charbons, la création des groupements industriels et du compte de péréquation des charbons, le réseau des chemins de fer de l'Etat a encore, en 1917, livré aux acheteurs 1 700 000 tonnes de charbon et 520 000 tonnes de cokes.

D'ailleurs dans la gestion du compte de péréquation des charbons, l'administration des chemins de fer de l'Etat a joué un rôle important, en agissant comme banquier du Bureau National des charbons, en assurant le payement des effets à payer et l'encaissement des effets à recouvrer. Pendant l'exercice 1917, le réseau a payé 114 millions au titre de la péréquation et en a encaissé 113, correspondant à 1 655 avis de payement et à 7 470 ordres d'encaissement délivrés par le Bureau National. On peut juger par ces chiffres de l'importance de ces opérations.

Subsidiairement, à la fin de l'année 1917, l'administration du réseau de l'Etat a passé avec la Société Maritime Nationale une convention pour la création d'une flottille de transports spéciale à la Méditerranée, en vue d'assurer, entre Marseille et Gênes, les transports des marchandises pondéreuses, en particulier des charbons, et de réduire ainsi le volume des transports effectués par voie ferrée.

Autres organismes spéciaux

Les difficultés d'approvisionnement des matières diverses amenèrent le gouvernement à prescrire des mesures spéciales pour procurer aux réseaux de chemins de fer les stocks nécessaires à leurs besoins. Un service spécial fut créé par les réseaux, qui devint l'organe centralisateur pour les commandes de tôles en France et pour les commandes d'acier en Angleterre destinés aux chemins de fer.

En 1917, ce service, élargissant ses attributions primitives, fut chargé d'organiser un Bureau central permanent des commandes des chemins de fer français, ayant pour mission de recevoir et de transmettre aux Etats-Unis, en Grande Bretagne et en France, les situations périodiques faisant ressortir, par natures et quantités, l'ensemble des produits métallurgiques et des matières diverses nécessaires aux besoins des différents réseaux.

Cet organisme, qui fut mis sur pied au début de 1918, comprenait : un bureau central à Paris, composé des représentants des réseaux et placé sous la direction de l'administration des chemins de fer de l'Etat, qui classait, groupait et transmettait les commandes, en indiquant l'ordre d'urgence, aux bureaux correspondants de New-York et de Londres. Le bureau de New-York présentait les commandes à la mission du gouvernement français dirigée par M. Tardieu, pour obtenir, par son intermédiaire, la désignation des fournisseurs par la War Purchasing Commission. En Angleterre, la procédure était plus simple et le bureau de Londres était uniquement chargé dé suivre l'exécution des commandes. Pour les commandes à placer en France, chaque réseau gardait la liberté de s'adresser directement à ses fournisseurs, mais copie de toutes les commandes devait être transmise au bureau central, pour le mettre à même de veiller à l'observation du contingent mensuel d'acier.

Ce bureau central permanent des commandes a servi les intérêts des producteurs en indiquant les commandes globales et en régularisant ainsi la production. Par ses prévisions à longue échéance il a permis de tenir constamment à jour la situation des paiements à effectuer sur les places étrangères, dont les variations trop brusques eussent compromis l'équilibre du marché des changes. Il a enfin facilité le placement des commandes en offrant aux fournisseurs anglais et américains la garantie d'un intermédiaire agréé par l'Etat français.

Exploitations maritimes annexes

Avant de clore le chapitre de l'exploitation technique, il nous faut mentionner une autre initiative intéressante. Deux de nos réseaux, ceux du Nord et de l'Etat (ce dernier comme- successeur de la Compagnie de l'Ouest rachetée), possédaient, avant la guerre, des services maritimes pour le transport des voyageurs entre la France et l'Angleterre. Lorsque la guerre sous-marine déchaînée par l'Allemagne s'intensifia, la diminution du tonnage et la cherté, de plus en plus grande, du fret amenèrent certains de nos réseaux à se demander s'il n'y aurait pas avantage pour eux à s'assurer, par la constitution d'une flotte leur appartenant, en propriété ou en location, les moyens de recevoir régulièrement le charbon qu'ils importaient d'Angleterre et le matériel qu'ils commandaient à l'étranger.

C'est ainsi que les réseaux de l'État, ainsi que nous le verrons plus loin, de l'Orléans et du PLM furent amenés à constituer une flotte qui leur a rendu, et a rendu au pays, les plus grands services. Si l'on songe qu'à certains moments de la guerre, l'approvisionnement en charbon de certains de nos réseaux était tellement précaire qu'on peut dire qu'ils vivaient presque au jour le jour, on mesure de suite à quel point a été prévoyante l'initiative de ces réseaux. Trop nombreuses, hélas, furent parmi les unités de leur flotte les victimes de la barbarie allemande! Saluons, en même temps que les victimes, ceux des navires des réseaux que l'héroïsme de leurs équipages a fait citer à l'Ordre du Jour de la Marine, ainsi que les hardis marins qui les servaient.

Exploitation commerciale

Suspensions et réductions de trafic au début de la guerre

Dès la publication du décret prescrivant la mobilisation générale, les transports commerciaux furent considérablement réduits. Les transports de marchandises furent en effet totalement supprimés et, seuls, quelques trains omnibus de voyageurs furent maintenus. Mais dès que la situation militaire le permit, au début de l'automne de 1914, les administrations des réseaux se préoccupèrent de reprendre les transports commerciaux, Les trains de voyageurs furent mis en circulation en plus grand nombre .et quelques trains de marchandises furent remis en marche.

Cependant il était impossible de ne pas tenir compte, au point de vue de l'exploitation commerciale, du fait même de la guerre et de la sujétion résultant, pour le trafic, des transports militaires. Ce n'est donc que progressivement, au milieu de nombreuses difficultés, qu'a pu être reprise, jusqu'à se rapprocher de la normale, autant que faire se pouvait, l'exploitation commerciale des réseaux.

Pour permettre d'apprécier à cet égard l'oeuvre des chemins de fer pendant la guerre, nous rappellerons tout d'abord les dispositions réglementaires qui furent prises depuis l'automne de 1914 jusqu'au printemps de 1919. Nous montrerons ensuite, à la lumière des statistiques se rapportant à chacune des années de la guerre et à l'ensemble de cette période, quelle a été, en fait, l'exploitation commerciale des réseaux.

Jusqu'à la fin du mois d'août 1914, les marchandises n'avaient été acceptées, en vertu du règlement sur les transports stratégiques, que sur l'autorisation des Commissions de Réseau. A ce moment une première amélioration fut réalisée. Une affiche porta à la connaissance du public la liste des marchandises qui seraient désormais admises dans les trains sans autorisations spéciales, mais sous certaines conditions, sur les lignes non comprises dans la zone des opérations, les Commissions de Réseau se réservant de statuer sur les demandes de transport pour les autres marchandises.

Les Commissions de réseaux réalisèrent ensuite progressivement une série d'étapes qui aboutirent, en décembre, à n'avoir plus que deux régimes : l'un s'appliquant à la plus grande partie des réseaux (zone A), y compris Paris, et englobant les marchandises de toute nature, dans la limite de dix wagons par expédition, l'autre, admettant dans la partie des réseaux incorporés à la zone des armées non comprise dans la zone des opérations (zone B), la presque totalité des marchandises, à raison de 2 ou 5 wagons par expédition, suivant les marchandises, les quelques autres marchandises étant limitées à 300 kg.

Des améliorations successives furent apportées à ce régime. Lorsque la reprise partielle des transports commerciaux fut autorisée à la fin des transports de concentration, elle le fut « sans responsabilité ni garanties d'aucune sorte, en raison des conditions actuelles de l'exploitation des voies ferrées ». Cela se comprend, car la primauté nécessairement attribuée aux transports militaires, particulièrement importants à ce moment, exposait à de nombreux aléas les transports commerciaux exceptionnellement autorisés.

La situation des transports s'étant améliorée, un décret du 29 octobre, pris en Conseil des Ministres, autorisa le Ministre de la Guerre « à fixer pour chaque réseau, et sur la proposition de la Commission de réseau, les conditions de délai et de responsabilité dans lesquelles seraient effectués les transports commerciaux ».

Arrêtés du 1er Novembre et du 1er Décembre 1914

En vertu de ce décret, le Ministre de la Guerre prit, le 1er novembre, un arrêté, qui tout en maintenant l'irresponsabilité des réseaux en ce qui concerne les délais de transport, déclarait chacun d'eux « responsable des pertes et avaries résultant d'une faute lourde de ses agents, dont il ne pourrait rattacher la cause à l'état de guerre ». C'était pour le commerce une notable amélioration à l'état de choses antérieur. Pour la rendre encore plus sensible, l'idée se fit jour, vers le mois d'octobre, dans certaines Chambres de commerce, parmi lesquelles celle de Paris, de souder au contrat de transport un contrat d'assurance. Les grands réseaux se montrèrent favorables à cette initiative et, le 1er décembre 1914, un nouvel arrêté du Ministre de la Guerre la consacra. Tout en maintenant, les principes de l'arrêté du 1er novembre, il mettait à la disposition des expéditeurs, sur « les réseaux de la zone de l'intérieur (PLM, Orléans, Midi, État, Ceinture) un système d'assurance facultative superposée au contrat principal de transport. Moyennant le paiement d'une légère taxe supplémentaire, variant selon les marchandises qui étaient, à cet égard, réparties en trois catégories, l'expéditeur bénéficiait, en ce qui concerne la perte ou l'avarie de la marchandise, du régime de responsabilité du temps de paix.

Arrêtés du 31 Mars et du 20 Juillet 1915

Cinq mois plus tard, un arrêté du 31 mars 1915 modifiait, pour les transports n'empruntant pas les réseaux du Nord et de l'Est, le régime créé par l'arrêté du 29 octobre 1914.

Pour les réseaux autres que le Nord et l'Est, les délais totaux pour la livraison étaient fixés au double des délais réglementaires en ce qui concernait la petite vitesse, et, en ce qui concernait la grande vitesse, il était alloué, en sus des délais réglementaires, une prolongation de 24 heures pour les transports à une distance inférieure à 300 kilomètres et de 48 heures pour les distances de 303 kilomètres ou plus, ces prolongations étant elles-mêmes augmentées de 24 heures en cas de factage à domicile.

De plus une modification importante et rationnelle était édictée en ce qui concernait le point de départ des délais de transport pour la petite vitesse. Ces délais devaient courir non plus du dépôt des marchandises en gare, mais du jour où le chargement, ayant eu lieu ou pouvant avoir lieu, le chemin de fer les prenait en charge. Cette mesure n'était autre que l'application à nos chemins de fer des principes qui régissent la plupart des chemins de fer étrangers quant aux délais.

La responsabilité des chemins de fer en cas de retard n'était d'ailleurs établie pour l'inobservation des délais ci-dessus qu'autant que les réseaux ne pouvaient justifier que le retard avait pour cause des difficultés provenant de l'état de guerre. En ce qui concerne le factage et le camionnage à l'arrivée, les réseaux n'encouraient aucune responsabilité pour retard, pourvu qu'ils aient avisé le destinataire de l'arrivée de l'expédition et de l'impossibilité de la livraison à domicile dans les délais fixés.

En ce qui concerne les voyageurs et les bagages, les administrations des réseaux n'encouraient pas de responsabilité pour les retards dus aux correspondances manquées.

L'article 4 établissait que la responsabilité des administrations des chemins de fer ne s'étendait pas aux pertes et avaries dans les cas où elles établiraient que la cause de ces pertes ou de ces avaries était une conséquence de l'état de guerre, à moins, cependant, qu'une assurance contre les risques de cette nature n'ait été contractée dans les conditions indiquées à l'article 6.

Cet article prévoyait, dans son premier paragraphe, que, moyennant le payement d'une prime d'assurance, fixée pour la plupart des marchandises à un demi-millième par fraction indivisible de 10 kilomètres et de 10 francs de valeur déclarée, les administrations de chemins de fer renonçaient à se prévaloir, hors le cas de force majeure dans les termes du droit commun, de l'exonération prévue au 1° de l'article 4.

L'expéditeur avait, en outre, le droit de faire une déclaration d'intérêt à la livraison pour les marchandises déjà assurées pour leur valeur. Moyennant le payement d'une seconde prime de deux millièmes et demi, l'expéditeur pouvait obtenir, en cas de perte ou d'avarie donnant lieu à une indemnité, le payement d'une indemnité dans la limite de l'intérêt qu'il avait déclaré avoir à la livraison, à charge par lui d'établir l'existence et le montant du préjudice. Les bagages n'étaient pas admis au bénéfice de l'assurance.

Sauf en cas d'assurance, l'indemnité due par les réseaux pour le préjudice justifié était limitée : en cas de perte partielle ou totale, à la valeur, aux lieu et jour de l'expédition, de la marchandise perdue ; en cas d'avarie, au montant de la dépréciation subie, calculée d'après cette valeur.

L'arrêté da 31 mars 1915 n'était pas applicable au transport des colis postaux qui continuaient à être soumis aux dispositions alors en vigueur.

Un arrêté du 20 juillet 1915 fixa pour eux de nouvelles conditions de délai et de responsabilité. Il s'inspirait, dans ses lignes générales, des dispositions de l'arrêté du 31 mars concernant les transports en grande vitesse. La prime d'assurance pour ces colis était fixée à 5 centimes par colis postaux de 3 et de 5 kg, à 10 centimes pour ceux de 10 kg (colis postaux ordinaires). Pour les colis postaux avec valeur déclarée, l'assurance était de10 centimes jusqu'à 100 francs de valeur déclarée et de 5 centimes par 100 francs ou fraction de 100 francs en plus des 100 premiers francs.

Moins d'un an après la promulgation de l'arrêté du 1er novembre 1914, le 2 octobre 1915, un nouvel arrêté déclarait abrogé, à dater du 20 octobre suivant, l'arrêté du 1er novembre 1914. C'était d'ailleurs là une mesure d'ordre puisque les arrêtés du 31 mars et du 20 juillet 1915 avaient pratiquement remplacé celui du 1er novembre précédent.

Des arrêtés particuliers furent pris pour déterminer l'étendue de la zone du réseau de l'Est et de la zone du réseau du Nord qui étaient soumises à l'application des principes posés par les arrêtés du 31 mars et du 20 juillet 1915. Naturellement, en dehors de ces zones, la Compagnie du Nord et celle de l'Est n'encouraient aucune responsabilité du fait des transports.

La meilleure preuve qu'on puisse donner de l'efficacité de ces mesures au point de vue du développement du trafic commercial est fournie par les recettes, du trafic commercial. Tandis qu'au mois d'août 1914 ces recettes n'atteignaient guère que 35 % de celles du premier semestre, elles se relevaient ensuite progressivement sur les réseaux de la zone de l'intérieur, jusqu'à osciller entre 80 et 85 % des recettes du semestre correspondant de l'année 1913. Il n'est donc pas étonnant que ces dispositions, fort libérales, soient demeurées en vigueur jusqu'à la fin des opérations de guerre.

Arrêté du 25 novembre 1918

L'arrêté du 25 novembre 1918 est venu, après l'armistice, déterminer la limite de la responsabilité des réseaux pour les transports commerciaux « sur les lignes qui ont été occupées par l'ennemi et reprises depuis le 18 juillet 1918 », en décidant que ces transports seraient effectués « sans aucune responsabilité des réseaux pour les conséquences des accidents ou des pertes qui pourraient survenir du fait ou à l'occasion de la présence des mines retardées, obus non éclatés, lots de grenades et de tous engins de destruction dont l'existence est signalée ou soupçonnée.

Décret du 2 février 1919

D'un autre côté, une partie de l'opinion publique avait paru-croire assez naïvement que la signature de l'armistice mettrait fin, par un coup de baguette magique, à toutes les ennuyeuses conséquences économiques du temps de guerre comme elle mettait fin à la lutte à main armée. Il n'en était rien, comme nous le verrons plus loin en étudiant la crise des transports pendant la guerre. Mais, cependant, pour donner satisfaction, dans une certaine mesure, au mouvement d'opinion qui réclamait le retour à l'exploitation normale des réseaux, le Gouvernement fit, par le décret du 2 février 1919, dont nous avons déjà parlé, le geste de rendre aux « administrations qui en sont chargées en temps de paix » le fonctionnement des chemins de fer « dans les conditions fixées par les cahiers des charges, les conventions, les règlements et les tarifs en vigueur ».

En fait, tant que dureront la réquisition des chemins de fer et la nécessité pour les réseaux d'exécuter par priorité absolue les transports indispensables pour les armées françaises et les armées alliés, les réseaux seront tenus de se conformer aux ordres et programmes généraux de transport qui leur seront notifiés dans un but d'intérêt général, par le Ministre des Travaux publics et des transports, agissant par délégation de l'autorité militaire. Il est même probable que cette situation se prolongera au-delà de la période de réquisition proprement dite, si celle-ci doit cesser dès la conclusion de la paix.

En ce qui concerne spécialement la question des délais, le décret a décidé que leur point de départ serait fixé, pour les marchandises manutentionnées par le public, 'au jour où le chargement des wagons serait terminé, pour les marchandises manutentionnées par le personnel du réseau, au jour où celui-ci en prend charge.

Dans son discours du 9 mai à la Chambre des Députés, M. Claveille justifiait le maintien de ces restrictions : « Dans les circonstances actuelles j'ai pensé qu'il était opportun que le Ministre des travaux publics puisse garder un certain pouvoir de direction sur les chemins de fer. Il faut que j'aie le droit d'imposer par priorité les transports militaires. Lorsque le Ministre des transports vient exiger que le réseau des chemins de fer soit obligé de faire les transports militaires ou d'autres transports, comme ceux qui concernent les engrais, nous ne sommes plus dans les conditions normales du cahier des charges, et la responsabilité ordinaire ne peut pas fonctionner en matière de délais. C'est une question de justice ». Ce régime ne saurait disparaître avec le décret de cessation des hostilités sans grands inconvénients. Il faut, pour les chemins de fer comme pour la navigation, que le gouvernement conserve pendant un certain temps le moyen de faire exécuter par priorité les transports nécessaires à la vie du pays et cela jusqu'au retour à un équilibre normal.

Mesures restrictives concernant les marchandises et les voyageurs

Les atténuations aux dispositions réglementaires du temps de paix concernant les délais de transport et la responsabilité des réseaux pour retards, pertes et avaries ne furent pas, d'ailleurs, les seules mesures prises par le Gouvernement pour permettre aux réseaux de faire face avant tout aux transports de guerre.

Certaines restrictions furent apportées aux transports commerciaux.

Le 16 février 1916, un arrêté ministériel basé sur « la nécessité d'activer les déchargements dans les gares afin d'accélérer la rotation du matériel roulant » avait autorisé les Commissions de réseau à ouvrir les gares le dimanche au service complet de la P V pour toutes les marchandises, et obligé les expéditeurs ou les destinataires à charger ou à décharger les wagons « dans le courant de la journée où les wagons avaient été mis à leur disposition ». Passé les délais fixés, le droit de stationnement était perçu dans les conditions prévues par les tarifs généraux, ou bien les réseaux pouvaient faire camionner d'office les marchandises au domicile du destinataire si ce destinataire était connu et que le transport put y être effectué normalement. En dehors de cette hypothèse le camionnage était fait dans un magasin public, et les frais de camionnage étaient calculés d'après « les prix doublés des tarifs ».

Ces mesures n'ayant pas suffi à produire l'effet recherché pour supprimer le stationnement des wagons, un arrêté du Ministre des Transports, en date du 15 janvier 1917, qui fut partiellement complété par des arrêtés du 22 novembre et du 11 décembre de la même année et un arrêté du 9 avril 1918, releva sensiblement les tarifs des frais accessoires.

Dans un autre ordre d'idées, diverses marchandises telles que les chiffons, les liquides en fûts, les fûts vides, les oranges, les pommes à cidre et les voitures ne furent plus acceptées en grande vitesse à partir du 1er janvier 1917 (arrêté du16 décembre 1916), et pour toutes les autres marchandises, à quelques exceptions près, l'acceptation en grande vitesse fut limitée à une expédition quotidienne de 300 kg d'un même expéditionnaire à un même destinataire.

En ce qui concerne la petite vitesse, tout wagon mis à la disposition d'un expéditeur pour être chargé par ses soins, dut être, à partir de la même date, utilisé à sa limite de charge, encore que le tarif à appliquer n'exigeât qu'une condition de tonnage inférieure à cette limite. Le chargement et le déchargement des marchandises en vrac et des animaux fut mis, dans tous les cas, à la charge du public. La pénalité encourue en cas d'inobservation de ces dispositions consistait dans le déchargement du wagon, au besoin par le chemin de fer, aux frais de l'expéditeur, sans préjudice du payement des frais de stationnement prévus par les conditions des tarifs généraux, pour toute la durée de l'immobilisation du wagon.

Deux mois plus tard, le décret du20 février 1917 venait, à son tour, restreindre la circulation des voyageurs en suspendant la délivrance des billets spéciaux pour voyages circulaires, stations thermales, bains de mer, et des billets collectifs, et en fixant à 100 kg l'excédent de bagages par enregistrement.

Au fur et à mesure des circonstances, beaucoup d'autres arrêtés sont intervenus pendant la durée des hostilités, qui tous avaient pour objet la meilleure rotation du matériel roulant. Un arrêté du 17 juillet 1917 a obligé quiconque faisait une demande de wagons en exécution de l'article 6 des conditions d'application des tarifs spéciaux, à mentionner expressément le nom de la gare destinataire. Un arrêté interministériel du 19 décembre 1916 avait prescrit l'utilisation des wagons jusqu'à leurs limites de charge; un arrêté du Sous-secrétaire d'État des transports vint, le 6 avril suivant, augmenter les limites de charges pour tous les transports en PV et fixer cette augmentation à 10% des limites actuellement inscrites sur les caisses des wagons pour l'ensemble du matériel des réseaux de l'Est, de l'État, du PLM et du matériel à capacité de 20 tonnes du réseau du Nord, à 5% pour les réseaux du Midi et de l'Orléans et pour le matériel à capacité de 10 tonnes du réseau du Nord.

Mais ces diverses mesures n'étaient pas suffisantes pour permettre aux réseaux de répondre à toutes les demandes de chargement des expéditeurs. Ceux-ci les inscrivaient sur les registres spéciaux ad hoc tenus dans chaque gare et avaient le droit, en vertu des arrêtés interministériels des 31 mars et 7 juin 1915, de voir leurs demandes servies dans l'ordre d'inscription sur ce registre.

D'après ces dispositions, les chemins de fer étaient, dans tous les cas, obligés d'effectuer, dans leur ordre de présentation, tous les transports, quelle qu'en fut la nature; mais, au début de 1917, cette obligation .n'était plus compatible avec la situation existante, et c'est alors qu'intervint l'arrêté du 9 février qui régla l'ordre d'urgence des transports de marchandises de PV en répartissant ces dernières en 3 catégories, subdivisées, la première en 4 et la seconde, en 2 sous-catégories.

  • La première catégorie comprenait :
    • les combustibles minéraux et tous les produits indispensables à la défense nationale et à l'exploitation des mines ;
    • les blés et farines;
    • les principaux produits alimentaires;
    • la nourriture usuelle la plus ordinaire des animaux et de l'outillage agricole.
  • Dans la deuxième catégorie figuraient :
    • les animaux de trait, divers aliments de l'homme et des animaux, des combustibles autres que le charbon, et des corps gras,
    • certains autres corps gras, des textiles, des boissons hygiéniques, etc),
  • La troisième catégorie comprenait toutes les marchandises autres que celles figurant dans les deux premières catégories.

Mesures d'évacuation en 1914 et 1918

En ce qui concerne les voyageurs, des mesures spéciales durent être prises à certains moments, notamment au moment de l'approche de l'armée ennemie de Paris en 1914 et lorsque la région parisienne fut soumise, au début de 1918, aux bombardements.

En août-septembre 1914, lors de l'avance des Allemands sur Paris, les trains de voyageurs quittant Paris se succédèrent pendant plusieurs jours à quelques minutes d'intervalle. Dans une seule-journée, le 3 septembre, et sur un seul réseau, le PO, 50 000 voyageurs de grand parcours quittèrent ainsi Paris. Cela n'empêcha pas la Compagnie d'Orléans de mettre en marche un grand nombre de trains spéciaux à destination de Bordeaux pour le transport du Gouvernement et des Administrations.

Un nouvel effort du même genre, moins brusque mais prolongé, dut être fait au printemps de 1918 quand les pièces à longue portée allemandes tirèrent régulièrement sur Paris en même temps que s'intensifiaient les attaques aériennes sur la capitale. Cette fois ce n'était pas seulement des voyageurs sans bagages qui partaient, c'était des voyageurs et de grandes quantités de colis de toutes sortes, qui nécessitèrent un surcroît considérable de mouvement. On peut se faire une idée de l'augmentation de circulation qui résulta du fait de cet exode et ultérieurement du retour des Parisiens, parle fait que, sur le PO, le nombre des billets de voyageurs, qui n'était que de 55 millions en 1917, a dépassé 64 en 1918.

Tonnage PV

Quel fut l'effet des diverses mesures restrictives que nous venons de citer sur le trafic commercial des réseaux ? Voilà ce qu'il nous faut maintenant examiner, d'abord pour le trafic commercial de la petite vitesse et, en second lieu, pour les voyageurs civils.

Le trafic commercial de PV à toute distance était de 193 800 000 tonnes en 1913. Il n'était plus en 1915 que de 105 200 000 tonnes. Il s'est relevé à 116 900 000 tonnes en 1916, à 122 200 000 en 1917. Nous ne possédons pas de chiffres d'ensemble pour tous les réseaux en 1918, mais s'il est permis de tirer une conclusion de la comparaison des chiffres concernant les deux réseaux du PLM et du Midi en 1917 et en 1918, on est amené à penser qu'il a dû s'abaisser à nouveau très sensiblement au cours de la dernière année, sous l'influence des évènements militaires.

Si l'on prend le chiffre de 100 comme représentant ce trafic en 1913, on a en 1915 54,3, en 1916 60,3, en 1917 63, et, en 1918, entre 50 et 55 approximativement.

  • Ramené au parcours de 1 kilomètre, le tonnage du trafic commercial de Petite Vitesse était pour l'ensemble des réseaux français d'intérêt général :
    • 1913 : 25 970 millions de tonnes soit 100 % de 1913,
    • 1915 : 17 067 millions de tonnes soit 65,6 % de 1913,
    • 1916 : 19 473 millions de tonnes soit 74,9 % de 1913,
    • 1917 : 20 831 millions de tonnes soit 80,3 % de 1913,

La comparaison entre 1913 et 1918 pour l'ensemble des deux Compagnies du PLM et du Midi fait ressortir par les chiffres 100 et 113, pour chacun de ces exercices respectivement, le trafic commercial de PV ramené au parcours de 1 kilomètre.

Les chiffres ci-dessus accusent avec évidence le phénomène dont on a tant parlé au cours de la guerre et qui a si largement contribué à la crise des transports, l'allongement des parcours des marchandises sur les réseaux.

  • Mettons-les en regard.
    • tonnage à toute distance, base 100 en 1913 : 1915 : 54,3 %, 1916 : 60,3 %, 1917 : 63%, 1918 : 77 %,
    • tonnage ramené au parcours de 1 km, base 100 en 1913 : 1915 : 65,6 %, 1916 : 74,9 %, 1917 : 80,3%, 1918 : 113 %.

Ces chiffres montrent bien que la tonne de marchandise a effectué des parcours de plus en plus longs d'année en année.

Les mesures prises pour accélérer la rotation du matériel et empêcher, dans la mesure du possible, le chargement des marchandises d'un intérêt relativement faible pour la vie économique nationale, n'étaient donc, on le voit, que trop justifiées, puisque néanmoins la rotation du matériel roulant est devenue beaucoup plus longue au cours de la guerre.

Voyageurs civils

Le nombre des voyageurs civils a évolué comme suit au cours de la guerre.

On en comptait, à toute distance, 525 millions, en chiffres ronds, en 1913, 274 millions en 1915, 332 millions en 1916 et 359 millions en 1917. Pour 100 voyageurs civils en 1913, il n'y en avait donc plus que 52,3 en 1915, 63,2 en 1916, 68,3 en 1917, et 53 ou 54 en 1918 si l'on étend à tout le réseau français le rapport que révèlent les statistiques des deux Compagnies de l'Orléans et du Midi.

Mais, à l'inverse de ce que nous avons été amenés à constater pour le trafic commercial de PV, les voyageurs se sont, en moyenne, déplacés à de moins grandes distances, car, ramenés au parcours de 1 kilomètre, les voyageurs civils, qui représentaient 19 210 000 000 kilomètres en 1913, n'en représentaient plus que, 8 805 000 000 en 1915, 10 012 000 000 en 1916 et 10 103 000 000 en 1917.

Le nombre de voyageurs-kilomètres étant représenté par le chiffre 100 en 1913, ce nombre n'est plus, en 1915, que de 45,8, en 1916 de 52, en 1917 de 52,5. L'évolution s'est donc faite pour les voyageurs, en ce qui concerne la distance moyenne parcourue, en sens inverse de celle que nous avons constatée pour les marchandises. Cela peut tenir, en partie, au fait que la suppression des billets spéciaux de vacances, de bains de mer, etc a diminué la facilité des voyages, mais cela tient surtout à la paralysie économique et sociale qui est résultée de la guerre et de l'invasion d'une partie de notre territoire, car, sur le Midi et sur l'Orléans, le nombre des voyageurs civils était, en 1917 et en 1918, sensiblement égal à celui de 1913.

D'ailleurs le nombre de kilomètres parcourus par les trains de voyageurs a subi une sensible diminution pendant la guerre : leur quantité s'exprimait, en 1913, par plus de 244 millions de kilomètres, elle n'a été que de 89 millions de kilomètres en 1918, soit 36,4 % de la distance parcourue dans la dernière année d'avant-guerre. Sur le territoire des réseaux partiellement envahis, elle n'atteignait pas le quart. Elle n'était que de 23,6 % du parcours de 1913, sur l'ensemble des autres réseaux, la distance parcourue était de 42 % de celle d'avant-guerre.

Comme la réduction du nombre des voyageurs à toute distance ou ramenés au parcours de 1 kilomètre a été moindre que la diminution des kilomètres parcourus par les trains, il en ressort que les voitures ont été, mieux utilisées pendant qu'avant la guerre.

Ces constatations nous permettent d'entrevoir quelques-unes des manifestations de la crise des transports qui a été non pas, comme beaucoup le croient, la conséquence d'une diminution d'activité des réseaux, mais la résultante de l'intensité du service effectué par eux, pendant la guerre, au milieu de difficultés inouïes.

La crise des transports et ses causes

Jamais, en effet, nos réseaux n'ont eu à faire face à un trafic aussi intense qu'au cours des quatre années de guerre, et quand on parle de la crise des transports, surtout de celle qui a sévi durant la dernière année de la guerre, il faut bien entendre qu'il ne s'agit que des difficultés de transport dont le seul trafic commercial a pâti. Les transports de guerre ont, en effet, fonctionné dans d'excellentes conditions, du premier au dernier jour des hostilités, et leur régularité a grandement contribué à nous assurer la victoire.

Nos réseaux ont, durant la guerre, fait face à un volume de trafic qui, dans son ensemble, a dépassé, en moyenne, de 50 % celui du temps de paix, mais, le trafic commercial a subi, lui, une très forte réduction sur celui d'avant-guerre, et le monde des affaires ainsi que le public en ont souffert. Jusqu'à la fin de 1917 un certain équilibre avait pu être maintenu entre les besoins les plus pressants du commerce et les disponibilités des réseaux. Au prix de quelles difficultés ! On peut s'en faire une idée si l'on songe qu'en novembre 1916 le trafic atteignait, sur le réseau de l'État, 146 % de celui du temps de paix, sur le PLM 149 %, sur l'Orléans 166 % et sur la partie non envahie du réseau du Nord jusqu'à 200 %.

En juillet 1917, le Directeur du contrôle de la Compagnie d'Orléans écrivait: « le tonnage kilométrique est double de celui pour lequel le réseau de l'Orléans était outillé avant la guerre. On parvient à le débiter, mais on fonctionne à la limite du rendement possible ».

En 1917, sur ce même réseau, le trafic commercial, seul, atteignait 18 700 000 tonnes de PV, c'est-à-dire qu'il se rapprochait très sensiblement de celui d'avant-guerre.

Il peut paraître, à première vue, extraordinaire que le trafic commercial des réseaux ferrés ait été, en 1917, de fort peu inférieur à celui de 1913 ou de 1912. La raison en est que les transports par eau qui, en temps normal, jouaient un rôle auxiliaire important dans notre commerce intérieur, ont vu ce rôle bien diminuer au cours de la guerre. La mobilisation des mariniers, la destruction ou simplement l'occupation par l'ennemi d'une portion notable de notre réseau navigable intérieur, et enfin la piraterie sous-marine, qui a entraîné la quasi suppression du petit et du grand cabotage, ont été les causes de cette diminution. Ce rôle important de la navigation dans nos transports intérieurs est trop souvent oublié et c'est pourquoi on est toujours tenté d'incriminer les réseaux ferrés comme responsables de la crise des transports intérieurs, alors qu'en fait ils sont seuls demeurés en situation d'assurer le trafic.

Comme nous venons de le dire, on avait pu, jusqu'à la fin de 1917, assurer un certain équilibre entre les besoins des expéditeurs et les moyens des réseaux et, somme toute, le commerce n'avait pas jusque-là trop souffert au point de vue des transports.

Mais, en 1918, sous l'influence, d'une part des évènements militaires, d'autre part de l'arrivée de l'armée américaine, l'équilibre se rompit, et, depuis le printemps 1918 jusqu'au commencement de 1919, la crise des transports commerciaux pesa lourdement sur la situation économique du pays.

Pendant toute la durée de la guerre, le trafic commercial des grands réseaux, bien que représentant un tonnage à toute distance moindre que celui d'avant-guerre, s'est accompli dans des circonstances toutes différentes de celles du temps de paix, et ces circonstances ont été telles que les frais et le temps de transport ont été sensiblement plus élevés depuis la guerre.

Bouleversement des conditions économiques du trafic

  • Quatre ordres principaux de faits ont contribué à produire ce résultat : la modification des courants de transports, les changements survenus dans notre commerce extérieur, le développement d'un certain transit international, et, enfin, les errements commerciaux résultant de la pratique du système des réquisitions.
    • Les courants de transports ont été modifiés. Avant la guerre, les lignes de profil difficile, d'Ouest en Est, où les trains de marchandises ne peuvent qu'à grand peine atteindre une vitesse de 20 kilomètres, n'avaient qu'un mouvement de circulation très restreint, le gros du trafic se faisant sur les grandes lignes convergeant vers Paris où les wagons roulent à 40 kilomètres à l'heure. Pendant la guerre, au contraire, beaucoup de transports partant de l'Ouest ont dû se diriger vers l'Est ou le Nord-Est, prenant en écharpe la France centrale. Ainsi les lignes de profil difficile, où la vitesse est lente, et où les convois doivent être de peu de longueur et de faible tonnage, ont vu leur trafic s'augmenter considérablement. Considérée au point de vue supérieur d'une exploitation économique, cette modification des courants de transport se présente comme un fait fâcheux, car ces lignes, d'Ouest en Est, ne pouvaient faire face, dans de bonnes conditions, au rendement qu'on attendait d'elles. Notons en outre qu'à cause même du profil des pays qu'elles traversent, elles courent rarement en ligne droite, au contraire elles zigzaguent fréquemment : donc parcours plus longs et vitesse, moindre se cumulaient pour ralentir les transports qui empruntaient ces voies.
    • Le second ordre de faits qui a contribué à diminuer le rendement utile des transports de nos voies ferrées, c'est que le trafic correspondant au commerce international par les ports français s'est modifié du tout au tout depuis le début de la guerre. Les importations en provenance d'outre mer se sont développées dans des proportions très considérables alors qu'au contraire nos exportations par nos ports ont considérablement baissé. Il en est résulté forcément une rotation déplorable des wagons, s'en allant, en longues files, vides vers nos ports pour en revenir pleins, mais y retourner à nouveau vides, et ainsi de suite.
    • L'inconvénient que nous venons de signaler ici s'est aggravé du fait de la création de nouveaux transports internationaux transitant par la France, à savoir : transports de charbon et divers d'Angleterre vers l'Italie, transports entre la Suisse et les pays d'outre-mer par les ports français, et entre la Suisse et l'Espagne.
    • Le quatrième fait d'ordre économique général qu'il convient de signaler comme ayant grandement contribué à augmenter les difficultés des transports, c'est que les courants du commerce intérieur se sont également modifiés sous l'influence de la guerre. Avant la guerre, le commerce s'efforçait, autant que cela lui était possible, de s'approvisionner dans les régions les plus voisines des grands centres qu'il devait desservir. Le système des réquisitions a changé tout cela. L'Administration a fait voyager à de grandes distances des marchandises réquisitionnées par elle, immobilisant ainsi de nombreux wagons pour de longs transports et cela a contraint les commerçants, bon gré mal gré, à agir de même. Quelle autre ressource en effet pour le commerce de Limoges, par exemple, qui était habitué à se fournir à peu près en totalité de tel ou tel produit dans le département de la Haute-Vienne ou dans les départements contigus, que de les faire venir, mettons de la région Pyrénéenne ou de la région de la Loire, si l'intendance réquisitionnait pour l'armée ou pour le ravitaillement de Paris les stocks de la Haute-Vienne et des départements voisins ? Ces changements dans les courants commerciaux intérieurs ont contribué, avec l'augmentation des importations, à augmenter considérablement le parcours moyen des marchandises et par conséquent la durée de temps pendant laquelle, pour son transport, une marchandise donnée accaparait un nombre donné de wagons.

La crise de 1918

Mais, ainsi que nous l'avons dit plus haut, c'est surtout au cours de l'année 1918 que la crise s'est déchaînée. L'attaque de l'armée allemande sur la Somme, au mois de mars, entraîna de lourdes conséquences au point de vue des chemins de fer, que le rapport du Ministre des Travaux Publics au Président de la République a bien mis en relief (Journal Officiel du 10 février 1919).

Une moyenne de 172 trains par jour dut être affectée, sur le réseau du Nord, aux transports de troupes vers la région menacée, au lieu de 18 trains qui étaient utilisés antérieurement pour ces transports. Le nombre de kilomètres parcourus par des trains militaires montait de 1 300 000 en février à 2 000 000 en mai, dépassant les chiffres les plus élevés de 1917. En même temps le nombre de wagons chargés pour le commerce, sur ce même réseau, passait de 17 000 à 20 000 par jour. Et cela, au moment où les lignes rétablies dans la région à l'Est d'Amiens tombaient sous le feu de l'ennemi et où le noeud le plus important du réseau était, à son tour, interdit par le canon ennemi.

Sur le réseau de l'Est, le nombre de kilomètres parcourus par des trains militaires s'élevait de 1 250 000 en janvier à plus de 1 700 000 en mars. « A partir de ce moment, » dit le rapport auquel nous empruntons ces renseignements, « le réseau des armées ne devait plus connaître de repos, et, cependant, ses moyens allaient décroître de jour en jour. »

Après l'attaque allemande sur le Chemin des Dames, le réseau du Nord, après avoir perdu l'usage du noeud de communications d'Amiens, et vu couper la grande ligne Paris-Amiens-Boulogne, perdait les lignes convergeant vers Soissons.

Le réseau de l'Est voyait tomber successivement ses communications de la vallée de la Vesle, puis de la vallée de la Marne. La ligne de Paris à Nancy, artère principale du réseau, était entre les mains de l'ennemi entre Château-Thierry et Epernay, à la fin de mai.

Pendant, ce temps le nombre de trains militaires allait toujours en augmentant. Le 5 mai, on atteignait le chiffre de 198 trains en 24 heures, pour les seuls transports de troupes.

En même temps, on s'organisait pour épuiser l'ennemi. On outillait des lignes situées de plus en plus loin du front primitif, on créait de nouvelles lignes, on installait de nouveaux organes de ravitaillement.

Lorsqu'à la fin de juillet les attaques de l'ennemi furent définitivement brisées, il fallut alimenter l'effort de nos armées pour la marche en avant. Et l'on vit ces réseaux du Nord et de l'Est, que l'on aurait pu croire épuisés par une crise de quatre mois, atteindre, pendant les mois d'août, de septembre et d'octobre, le maximum de leur rendement. Le 28 aout, le réseau du Nord voyait circuler 25 000 wagons, le nombre de kilomètres parcourus par des trains militaires se maintenait à 1 900 000 par mois, et, en septembre, le réseau de l'Est atteignait, pour ce trafic, le chiffre de 1 703 000 kilomètres. En même temps on commençait à remettre en état les lignes libérées mais détruites par l'ennemi.

On se tromperait lourdement si l'on pensait que les graves événements du printemps de 1918 ont été sans influence sur la situation des réseaux de l'intérieur. Ils eurent, au contraire, à en supporter le contrecoup et c'est là la cause déterminante de ce que l'on a appelé la crise des transports.

Les réseaux du Nord et de l'Et ayant perdu l'usage de leurs meilleures lignes, il fallut, pour assurer les transports intensifs de troupes, de munitions et de matériel, « utiliser des lignes détournées intéressant les réseaux du PLM, du PO et de l'Etat juste au moment où, sous la poussée de l'ennemi, ces réseaux avaient à faire face aux nombreuses évacuations des régions menacées (repliement des .gares régulatrices et de stations-magasins, matériel de voie et d'aviation, matériel de santé, outillage d'usines de matières premières et de produits fabriqués, de mobiliers). C'est par milliers de wagons par jour que se chiffrèrent ces évacuations, qui, malgré les difficultés du moment, se firent avec méthode, sans entraver le service des trains militaires. »

« A ces difficultés de toutes sortes vinrent s'ajouter les transports nécessités par le rappel urgent sur le théâtre de guerre français de plusieurs divisions françaises et anglaises opérant en Italie, et par l'afflux de plus en plus considérable des troupes américaines. » (rapport précité).

Lorsque les Etats-Unis étaient entrés en guerre, un plan avait été élaboré dont la réalisation eut permis de transporter les troupes combattantes de l'armée américaine par ses propres moyens. Le matériel des chemins de fer et le personnel affecté aux transports devaient précéder l'arrivée des troupes combattantes. Le péril que coururent, au moment de la bataille.de la Somme, les armées de l'Entente tirent abandonner le programme arrêté. On se hâta d'amener d'abord les troupes combattantes dont les débarquements atteignirent 300 000 hommes par mois, sans parler du matériel et des approvisionnements. Si bien que ce furent nos réseaux qui durent en assurer le transport, et, à la veille de l'armistice encore, le transport de ces troupes reposait en grande partie sur nos réseaux.

Toutes ces surcharges représentèrent une augmentation d'environ 30 % du nombre des trains militaires, ce qui réduisit d'autant le nombre des trains commerciaux. Les réseaux de l'intérieur s'ingénièrent à rendre ce contrecoup des évènements militaires le moins lourd possible pour le pays, et à faire face aux conséquences douloureuses que les évènements de la guerre sur terre et sur mer devaient entraîner. C'est ainsi que le réseau PLM assura non seulement le trafic des houilles extraites de ses charbonnages, mais participa largement, avec les réseaux du Midi et de l'Est, à l'approvisionnement de l'Italie en combustibles, en lui assurant un tonnage journalier de 10 à 13 000 tonnes.

Voilà à quoi tient ce que l'on a appelé si improprement la « crise des transports » de 1918. En réalité, à aucun moment de leur histoire, nos réseaux n'avaient fourni pareil effort, n'avaient donné un pareil exemple de vitalité, et n'avaient assuré, dans des conditions aussi difficiles, un trafic aussi considérable.

C'est dans ce sens qu'il est impropre de parler d'une crise des transports. Mais il y eut une crise de matériel et une crise de personnel et ce sont elles que nous allons maintenant examiner.

Crise du matériel

La crise du matériel des chemins de fer doit se diviser en deux crises distinctes : la crise du matériel, fixe et la crise du matériel roulant.

La première, bien qu'ayant moins frappé les yeux du public, semble cependant avoir été celle qui a le plus gravement compromis la régularité du trafic. Elle a été le résultat immédiat de l'invasion et des transports de troupes et de matériel de guerre entre les ports et le front français, ainsi que de la navette des transports militaires entre le front français et le front italien. Ces différents transports ont entraîné des détournements et des allongements de parcours par des lignes qui n'avaient pas été faites pour supporter un trafic aussi intense que celui qui leur est échu pendant la guerre. D'autre part l'invasion a eu pour résultat de ramener sur la partie du territoire non envahie une portion du matériel roulant qui circulait avant la guerre dans la partie envahie.

« Tout le monde sait, déclarait M. Claveille à la Chambre le 9 mai dernier, que le nombre et la longueur des voies de garage, ainsi que l'étendue des faisceaux de triage, surtout dans certaines régions de la France, n'étaient pas suffisantes pour faire face au trafic formidable créé, par exemple, par l'arrivée de l'armée américaine. Des travaux importants ont été exécutés pendant la guerre : certains avec une extrême rapidité. Quand Amiens était sous le canon allemand, nos services ont exécuté un chemin de fer à double voie, de 90 kilomètres, en trois mois. On a creusé un tunnel en soixante-quinze jours».

  • De ces deux causes ont résulté :
    • une insuffisance des voies de garage, des gares de triage, des dépôts de machines,
    • une usure anormale des voies qu'a encore aggravée l'impossibilité de l'es entretenir faute de matériel (rails, traverses, etc.) et de personnel.

L'ensemble de ces faits constitue la crise du matériel fixe.

La crise du matériel roulant était plus tangible parce que ce que le public réclame aux réseaux pour charger ses marchandises ce sont des wagons, et qu'il n'en recevait point.

Nous avons vu plus haut dans quelle mesure les transports de guerre ont réduit le matériel roulant affecté au trafic commercial, nous n'y revenons pas. Mais il faut remarquer que les déroutements et les détournements de trafic, ainsi que la plus longue rotation déjà mentionnés avaient pratiquement le même effet qu'une diminution dans le nombre des wagons. Enfin plus de wagons ont dû être réformés et beaucoup plus de wagons ont été avariés et, immobilisés pour réparation dans les ateliers.

Quant aux machines, nous possédions 13 800 locomotives de grands réseaux avant la guerre. L'ennemi nous en a pris proportionnellement beaucoup moins que de wagons, une centaine au plus, car beaucoup ont pu s'échapper « haut le pied », et pour elles également l'augmentation du nombre des invalides a été relativement moindre que pour les wagons. Cependant la crise du matériel roulant consiste plutôt en une crise de locomotives qu'en une crise de wagons.

Comment cela, et pour quelles raisons ?

D'abord parce que les allongements et les détournements de trafic, et surtout le passage d'un plus grand nombre de trains par des lignes de profil difficile et où la voie était unique sur de longs parcours ont nécessité, pour le transport d'une même quantité de marchandises, la formation d'un plus grand nombre de trains et par conséquent l'usage d'un plus grand nombre de locomotives qu'avant la guerre. Si l'on veut bien se rappeler qu'au total le trafic a dépassé, pendant la guerre, de 50 % celui du temps de paix, on en conclura facilement que le nombre des locomotives a du se trouver insuffisant.

D'autre part le combustible étant de moins bonne qualité et un grand nombre de locomotives ayant passé aux mains d'agents qui les connaissaient moins bien que leurs mécaniciens ordinaires et n'en pouvaient par conséquent tirer un aussi bon parti, le rendement utile des locomotives s'est trouvé, de ce second chef, encore diminué dans une proportion considérable.

A la première séance du 14 février 1919 de la Chambre des députés, M. le Sous-Secrétaire d'Etat aux transports a exposé, d'une façon très lucide, l'ensemble de la crise des transports dans le second semestre de l'année dernière, à l'époque où elle sévissait le plus durement. Elle ne tient pas au manque de wagons, disait-il en substance, car des sondages faits à divers intervalles il résulte que sur les trois réseaux de l'État, du PLM et de l'Orléans, le nombre des wagons présents n'est jamais tombé au-dessous de 189 000 et a atteint 206 000.

L'effectif des locomotives effectives, c'est-à-dire dont on peut se servir immédiatement, a varié, pour l'ensemble des six réseaux, du nombre de 11 750 à celui de 11 944. Mais le nombre des wagons chargés quotidiennement n'était plus, pour l'ensemble des quatre réseaux situés totalement dans la région non envahie, que de 30 000 à 35 000, soit environ la moitié du nombre d'avant la guerre.

Cependant malgré la diminution considérable du nombre des wagons chargés, une rubrique s'est ouverte, continue le Sous-Secrétaire d'Etat, qui n'existait pas avant la guerre, celle des trains refusés. Un train refusé est un train formé de wagons chargés et attelés mais qui n'a pu partir faute de locomotive, de mécaniciens ou de garde-freins : à certains moments le nombre des trains refusés a été assez élevé.

Durant le même temps le nombre des trains en détresse par suite d'une panne de locomotive, a été beaucoup plus élevé qu'avant la guerre. Et le Sous-Secrétaire d'Etat aux transports concluait : « Nous sommes en présence d'une crise de traction ».

Pourquoi la traction laissait-elle tant à désirer ?

En premier lieu à cause de la mauvaise qualité du charbon dont les scories obstruaient les grilles, rendant très difficile le maintien de la pression en cours de route. Comme le déclarait M. Claveille à la Chambre le 9 mai dernier : « Pour que l'exploitation des chemins de fer soit satisfaisante il faut que le combustible qui sert à faire marcher les locomotives soit de bonne qualité». M. Cels ajoutait : « Cent locomotives, à l'heure actuelle, ne produisent pas plus d'effet de traction que soixante dix avant la guerre ».

La diminution du rendement kilométrique des locomotives a été unanimement constatée : sur le PLM on estimait que ce rendement, en juillet 1918, était inférieur de 23,71 % à ce qu'il était en juillet 1914 (74 kilomètres au lieu de 97). Sur le Nord, en novembre 1918, les tournées de machines duraient 100 heures au lieu de 18, moyenne normale d'avant guerre.

A peu près-au même moment, l'Est, constatait que, dans l'ensemble, ses locomotives ne faisaient plus qu'un trajet journalier de 75 kilomètres au lieu de 130 en temps normal; et cette Compagnie déclarait : nous avons besoin, non de wagons, mais de locomotives montées.

Ici il nous faut empiéter sur l'étude que nous consacrons plus loin à l'évolution du personnel des réseaux au cours de la guerre, mais nous ne pouvons nous dispenser de le faire, car quand une crise éclate dans une industrie telle que celle des transports, on ne peut l'expliquer qu'en montrant réunies toutes les causes qui l'engendrent.

Une seconde cause de la crise de traction consistait dans le fait que les réseaux ne disposaient que d'un nombre réduit de mécaniciens et de chauffeurs.

Un certain nombre de mécaniciens et de chauffeurs avaient été mobilisés. En outre, de 1914 à 1918, par suite d'invalidité, de mort ou de toute autre cause, sur 11 441 mécaniciens qui étaient au service des réseaux en 1913, 2 870, soit près du quart, 24,5 % avaient quitté le service. Cependant au 31 décembre 1918 on trouve un effectif de 12 249 mécaniciens, soit quelque huit cents unités de plus qu'en 1913; mais un peu plus de 30 % du nombre total des mécaniciens en service au 31 décembre 1918 avaient été recrutés au cours de la guerre et formaient un personnel, neuf et encore novice en partie. On ne forme pas, en effet, des mécaniciens, pas plus que des chauffeurs, du jour au lendemain.

La mauvaise qualité du charbon, l'impossibilité de nettoyer les machines régulièrement, le fait que les machines étaient « banalisées» et qu'une proportion du mouvement beaucoup plus grande qu'avant la guerre se faisait par des lignes difficiles en pays accidenté, tout contribuait à immobiliser des machines pour des réparations accidentelles. Ainsi réagissaient l'une sur l'autre, en cumulant leurs effets, toutes les causes particulières de la crise de traction, forme particulièrement aiguë de la crise des transports et forme sous laquelle elle s'est fait sentir au cours de l'année 1918 et jusqu'aux premiers mois de 1919.

La crise depuis l'armistice

L'armistice, en effet, n'a pas mis fin à la crise des transports, et, au contraire,, il n'a fait, tout d'abord, que la rendre plus sensible. Subitement le territoire à desservir avec le matériel et le personnel dont disposaient nos réseaux au début de novembre s'agrandissait des régions françaises libérées et des régions allemandes que nos armées allaient occuper. Sans doute une clause de l'armistice obligeait les Allemands à livrer un stock de 150 000 wagons et de 5 000 locomotives dont la majeure partie devait nous être attribuée; mais on sait que nos ennemis ne mirent aucun empressement à se soumettre à cette clause, et qu'ils essayèrent tout d'abord de fournir un mauvais matériel que nous dûmes refuser.

Quand enfin les locomotives nous furent livrées, il se produisit le fait suivant : ces locomotives construites pour brûler l'excellent charbon de Wesphalie, qui donne peu de cendres, n'étaient pas munies de foyer à bascule. Le charbon que nous employons étant de moins bonne qualité, surtout présentement, nos mécaniciens se sont trouvés obligés d'arrêter fréquemment les locomotives allemandes pour chasser les scories. Il a fallu installer sur bon nombre des machines qui nous étaient livrées ces foyers à bascule dont elles étaient dépourvues, d'où des immobilisations qui en ont retardé l'utilisation.

D'autre part la nécessité de ravitailler nos troupes d'occupation en pays ennemi a contribué à allonger la rotation moyenne des wagons dans de mauvaises conditions économiques, car les trains partis pleins revenaient à vide.

On ne s'est pas fait une idée exacte dans le public, des charges de toute nature que l'armistice créa à nos réseaux (rapport du Ministre cité plus haut) : la démobilisation des RAT des armées et de l'intérieur, la mobilisation d'une partie du personnel des réseaux pour l'exploitation des lignes situées entre l'ancienne frontière et les territoires occupés par nos armées sur la rive gauche du Rhin, le rapatriement des prisonniers français et des évacués des régions libérées, le ravitaillement des régions reconquises, l'apport dans ces régions de chevaux, de voitures, de matériel de toute sorte nécessaires à la reprise de leur vie économique, etc.

Par ailleurs certains de nos réseaux ont eu à faire face au transport des Anglais revenant d'Egypte et de Palestine, traversant la France, de Modane à Cherbourg, des Américains regagnant leurs ports d'embarquement, des Italiens, occupés en France regagnant leur pays.

Le transport de 300 000 prisonniers, en particulier, arrivant à Dunkerque, Le Havre, Cherbourg, Brest, Dijon et Lyon, a nécessité 250 trains spéciaux d'un parcours moyen de 500 kilomètres pour lesquels il a fallu affecter 2 000 wagons, 350 voitures de voyageurs et 150 machines.

Le transport des civils rapatriés a exigé une centaine de trains et 110 machines. Celui des RAT démobilisés, à raison de 40 000 hommes par jour, effectuant des parcours moyens de 550 kilomètres, immobilisa environ 250 trains.

Les transports de démobilisation ont exigé, au mois de janvier, plus de 10 000 wagons, 550 voitures de voyageurs et 750 machines.

Néanmoins, surtout depuis le décret du 2 février dernier, qui a rendu l'exploitation des chemins de fer, nous avons dit avec quelles entraves, aux administrations des réseaux, la crise a été en s'atténuant grâce à la diminution des transports militaires et aux mesures prises par les réseaux pour améliorer le service des trains. Répondant à une question d'un sénateur, le Sous-Secrétaire d'Etat au Ministère des Travaux Publics, M. Cels, faisait connaître au Sénat, le 13 juin, que la situation des transports était plus rassurante. Il indiquait notamment que les parcours des trains de voyageurs sur le réseau de l'Etat étaient en augmentation de 70 % par rapport à ceux du mois de juillet 1918. Pour le trafic marchandises, la situation est également en voie de sérieuse amélioration sur l'ensemble des réseaux. « Le rendement des locomotives augmente tous les jours » déclarait M. Cels dans les explications auxquelles nous venons de faire allusion.

Cette amélioration n'a pu être obtenue qu'avec beaucoup de peine car, depuis l'armistice, les réseaux ont dû rendre à la Belgique ses wagons et ses locomotives dont ils disposaient depuis 1914. En même temps les agents des pays alliés qui étaient employés par nos réseaux commencèrent, en grand nombre, à quitter la France pour regagner leurs pays respectifs, tandis que les réservistes de l'armée territoriale, démobilisés, rentraient dans leurs foyers.

Cette dernière observation nous amène à l'étude de la question du personnel que nous allons maintenant aborder.

Personnel

Situation du personnel, effectif et rendement

La guerre a non seulement amené d'importantes perturbations dans la consistance et l'emploi du matériel des réseaux, mais elle a également provoqué une crise très grave dans leur personnel. Celle crise a porté à la fois sur la quantité et sur la qualité.

Crise d'effectifs

A la date du 1er janvier 1914, le personnel des grands réseaux s'élevait, en chiffres ronds, à 355 000 agents, y compris 30 000 auxiliaires.

Dieu que, de droit, les agents des réseaux ayant six mois de service soient, mobilisés sur place dans leurs fonctions, la mobilisation aux armées préleva sur les stagiaires et les auxiliaires un contingent assez élevé pour que, dans l'ensemble, l'effectif fut réduit au début de la guerre d'un dixième environ, 40 000 cheminots ayant été mobilisés aux armées. Plus tard la réduction fut ramenée à 7,3 %.

D'autre part, 13 000 agents étaient restés en territoire envahi, et, dès 1916, il fallait encore décompter 9 000 agents décédés ou mis en réforme.

Le 17 septembre 1918 M. Claveille constatait, dans un discours prononcé à la Chambre, que l'effectif permanent du personnel des réseaux était à cette époque inférieur de 17% à ce qu'il était le 1er août 1914, alors que le trafic auquel il devait faire face avait augmenté de 50 %.

Les Compagnies ont réussi à disposer, même durant la guerre, d'un personnel plus nombreux que celui qu'elles avaient avant l'ouverture des hostilités. Au lieu de 157 544 agents de tout grade que le PLM, le Midi et l'Orléans avaient au 1er juillet 1914, ces Compagnies en comptaient 198 794 au 1er janvier 1919, et l'ensemble des réseaux français en comptait un peu plus de 391 000 à cette dernière date, soit 11% de plus qu'au début de 1914. Malgré celle augmentation d'effectif, le personnel des réseaux demeurait insuffisant, puisqu'il ne s'était accru que de 11% tandis que le trafic avait augmenté de 50 %.

Personnel nouveau

D'autre part le personnel nouveau était d'une valeur très inférieure à cette du personnel régulier. Où les réseaux pouvaient-ils puiser pour remplacer le personnel régulier mobilisé ou perdu pour eux de toute manière ? S'ils cherchaient avant tout des hommes expérimentés, il leur fallait s'adresser aux agents retraités, par conséquent à des hommes déjà âgés, expérimentés sans doute, mais d'une résistance, d'une souplesse et d'un rendement de travail inférieurs à celui des agents actifs mobilisés. D'ailleurs ces retraités, bien qu'on ait fait appel à eux avec insistance, n'ont fourni qu'un faible appoint en nombre.

Les réseaux ont dû recourir également à d'autres catégories de travailleurs. Ils en ont recherché parmi des hommes plus jeunes non appelés sous les drapeaux. Mais, parce que non appelés sous les drapeaux, ces hommes étaient évidemment, en moyenne, d'une force physique inférieure aux cheminots mobilisés et, d'autre part, ils étaient inexpérimentés : encore leur nombre fut-il insuffisant puisque, même pour des travaux de force, tels que la manoeuvre des bagages dans les trains, on dut faire appel à des femmes! Des prisonniers, des étrangers, des indigènes de nos colonies, des RAT, complétaient la collection des remplaçants.

Si l’on avait disposé d’une suffisante collection de dynamomètres et du temps voulu pour établir la comparaison du rendement en force du personnel des réseaux pendant la guerre avec celui du personnel du temps d'avant-guerre, nul doute que la faiblesse du personnel de la période de guerre n'eût apparu en pleine lumière.

Mais une infériorité de rendement tenant à une force physique en moyenne moindre n'est peut-être pas la principale cause de la crise du personnel des réseaux pendant la guerre. C'est son inexpérience qui en a constitué la cause principale.

A tort le grand public est porté à croire qu' « on en sait toujours assez » pour être cheminot. Si humble et si peu « qualifiée » qu'elle paraisse, cette profession nécessite cependant des connaissances, ne serait-ce que celle des habitudes du service et du tour de main.

Un bon cheminot ne s'improvise pas, il faut plusieurs mois pour le former, et si la proportion des novices vient à se trouver plus forte qu'elle ne l'est ordinairement, la durée de la période de formation est forcément plus longue. Il en fut ainsi pendant la guerre.

Quelles sont les conséquences d'une insuffisance de force et d'une insuffisance d'expérience du personnel des réseaux? Le public en perçoit une directement, c'est la lenteur dans l'exécution des services qu'il attend lui-même de ces agents, tels que le transbordement ou la délivrance des bagages, des messageries et des marchandises. Mais les compagnies souffrent, de leur côté, directement, d'inconvénients graves qui résultent pour elles de la crise de personnel, et le public ne songe pas toujours, ne songe même pas souvent que la crise du matériel est, du moins en grande partie, une conséquence de la crise du personnel. Si le matériel est plus usé, d'une part, et moins bien entretenu de l'autre, cela tient en partie a ce que le personnel qui le manoeuvre est doué de moins d'expérience et à ce que celui qui le doit entretenir est non seulement inexpérimenté mais aussi moins nombreux et moins qualifié.

Le personnel régulier des trois Compagnies PLM, Midi et Orléans, pour ne prendre que les réseaux de la zone de l'intérieur, a été réduit de 23 000 unités du 1er juillet 1914 au 1er janvier 1919 (141 200 à la première date, 123 200 à la seconde). Par contre le personnel féminin a presque doublé (14 900 au 1er juillet 1914, 27 000 au 1er janvier 1919). Le personnel étranger est passé de 7 200 à 25 100, augmentant de près de 250 %, celui des autres catégories est passé de 3 241 à 26 714.

  • Voici pour l'ensemble de ces trois Compagnies la part pour cent de chaque catégorie de personnel aux dates du 1erjuillet 1914 et du 1er janvier 1919, par rapport au total du personnel employé :
    • 1erjuillet 1914 : Personnel régulier 84,6%, personnel féminin 8,9%, personnel étranger 4,3%, autres 1,9%,
    • 1er juillet 1919 : Personnel régulier 59,5%, personnel féminin 13,5%, personnel étranger 12,5%, autres 13,4%.
  • Pour l'ensemble des réseaux, la répartition du personnel en trois catégories seulement, personnel régulier, personnel féminin, personnel autre que le personnel régulier et le personnel féminin, se présente avec la consistance et dans les proportions suivantes aux deux date du 1erjuillet 1914 et du 1er janvier 1919 :
    • 1erjuillet 1914 :
      • effectif total 355 900,
      • Personnel régulier : total 300 700 soit 84,8 % de l’effectif total,
      • Personnel féminin : total 29 100 soit 8,2 % de l’effectif total,
      • Autres catégories : total 24 000 soit 7 % de l’effectif total,
    • 1erjuillet 1919 :
      • effectif total 391 400,
      • Personnel régulier : total 253 900 soit 65,1 % de l’effectif total,
      • Personnel féminin : total 50 900 soit 13 % de l’effectif total,
      • Autres catégories : total 86 000 soit 21,9 % de l’effectif total,

Pas plus que pour le matériel et, en partie, pour les mêmes raisons, l'armistice n'a porté remède à la crise du personnel des réseaux.

  • La démobilisation des RAT a eu pour conséquence de diminuer l'effectif du personnel des réseaux des 26 000 hommes qui avaient été répartis ainsi par réseau :
    • Nord : 8 000,
    • PLM : 5 600,
    • Etat : 5 000,
    • Est : 9 000,
    • PO : 2 500,
    • Midi : 1 400.

Les prisonniers de guerre, dont le travail a été satisfaisant, ont été retirés des réseaux de l'intérieur avant la signature de la paix. Quant aux Belges et aux Serbes, ils sont rentrés dans leur pays.

Le danger résultant des dernières causes de diminution de l'effectif que nous venons d'énumérer a été, en partie, conjuré grâce à l'engagement des volontaires de la réserve de l'armée active, qui ont été détachés sur les réseaux contre la promesse, souscrite "par eux, d'y demeurer, malgré la libération de leur classe, tant que les réseaux demeureront réquisitionnés.

L’appel adressé à ces volontaires a reçu un excellent accueil de leur part. « Le 1er mai », disait à la Chambre, le 9 mai dernier, M. le Ministre des Travaux Publics, « nous avions reçu 147 000 demandes qui toutes ont été examinées avec beaucoup de soin et dont plus de 98 000 ont été retenues. A l'heure actuelle 71 000 employés nouveaux sont incorporés dans les réseaux. L'incorporation continue et, dans quelque temps, la totalité du personnel indispensable aux chemins de fer sera recrutée et la crise des effectifs sera résolue ».

Mais, quelle que soit la bonne volonté de ces auxiliaires, il faut compter avec leur inexpérience. Ce n'est pas en quelque jours, nous l'avons dit, que l'on forme un agent de chemin de fer. Il faudra plusieurs semaines, plusieurs mois même, pour que leur concours ait un effet réellement utile. Et puis, combien d'entre eux préféreront abandonner leur emploi lorsque la déréquisition des réseaux leur aura rendu leur liberté ? D'autre part, à ce moment, beaucoup d'agents réguliers qui ont atteint l'âge de la retraite et qui ont été retenus sur les réseaux en raison de la réquisition, exigeront leur mise à la retraite.

En attendant, 12 000 agents des chemins de fer, dont beaucoup appartiennent aux grades supérieurs, étaient encore restés mobilisés jusqu'à ces derniers jours.

Pour toutes ces causes la situation des réseaux au point de vue du personnel est encore anormale et le demeurera un certain temps encore,

Améliorations apportées à la situation du personnel au cours de la guerre

Relèvements des traitements et allocations de guerre

En présence de l'augmentation du coût de la vie, les grands réseaux ont été amenés à améliorer sensiblement la situation pécuniaire de leur personnel.

Ces améliorations ont porté non seulement sur les traitements proprement dits, qui ont été relevés sur la plupart des réseaux, mais également sur les accessoires du traitement, tels que les indemnités de résidence, les frais de déplacements, etc.

De plus les agents des chemins de fer ont bénéficié, en dehors de leur traitement et des accessoires ainsi relevés, d'importantes allocations de cherté de vie et de charges de famille.

En n'envisageant que les traitements et accessoires normaux, si l'on compare les dépenses de personnel pour les grands réseaux en 1913 et en 1919, on constate, que ces dépenses qui étaient, en 1913 de 766 800 000 fr, s'élèveront en 1919, d'après les concessions actuellement accordées aux agents, à environ 1 800 millions soit une augmentation de 134 %.

Si l'on ajoute à ces dépenses les sommes dont bénéficient les agents au titre « allocations de cherté de vie » on constate qu'en 1919 les dépenses totales de personnel s'élèveront à 2 500 millions soit une augmentation de 226% par l'apport à 1913.

Si les nouvelles concessions avaient été accordées aux agents depuis le 1er janvier 1919, soit pendant l'année entière, au lieu de l'être en cours d'année, la dépense totale se serait élevée à plus de 3 milliards, soit une augmentation de 292% par rapport à 1913.

La dépense moyenne par agent, qui était avant la guerre de 2 160 fr, ressort maintenant à 6 632 fr soit une augmentation de 207%.

On n'aurait cependant qu'une idée inexacte de l'amélioration apportée au sort du petit personnel si l'on s'en tenait à ces moyennes, car, en réalité, la situation de celui-ci a été relevée dans une proportion plus forte encore. C'est ainsi qu'en prenant pour exemple un réseau dont les traitements étaient, avant la guerre, parmi les plus élevés, on peut constater qu'un homme d'équipe ou un poseur de la voie, à Paris, qui gagnait à ses débuts, en 1914, 1 800 fr par an, gagne actuellement, en débutant, tout compris, 4 800 fr en moyenne s'il n'a pas d'enfants, 5 400 fr s'il a deux enfants, soit, par rapport à 1914, une augmentation d'environ 166% dans le premier cas, et de 200% dans le second cas.

Un garçon de bureau qui gagnait à ses débuts, avant la guerre, 1 850 fr gagne actuellement, en débutant, 4 600 fr en moyenne, s'il n'a pas d'enfants et 5 200 fr s'il a deux enfants, (sans parler des avantages accessoires, étrennes, etc.) soit, par rapport à 191 4, une augmentation, de 149% dans le premier cas, et de 181% dans le second cas.

Un employé de bureau (administration centrale) qui gagnait, à ses débuts, avant la guerre, 1 900 fr gagne actuellement, en débutant 4 900 fr s'il n'a pas d'enfants, 5 560 s'il a deux enfants, soit une augmentation d'environ 158% dans le premier cas et de 192% dans le second cas.

Une employée de bureau (administration centrale) qui gagnait, à ses débuts, avant la guerre 1 200 fr gagne actuellement, en débutant, 4 300 fr.si elle n'a pas d'enfants et 4 960 si elle a deux enfants, soit une augmentation d'environ 258% dans le premier cas, et de 313% dans le second cas.

Un ouvrier d'atelier qui gagnait, à ses débuts, à Paris, avant la guerre, 2 200 fr gagne actuellement, en débutant, 5 600 fr en moyenne s'il est célibataire, et 6 250 fr en moyenne s'il a deux enfants, soit 154% d'augmentation dans le premier cas, et 184% dans le second.

Les augmentations auraient été plus considérables encore si nous avions pris comme terme de comparaison l'un des réseaux dont les traitements, avant la guerre, étaient les moins élevés.

Toutes ces améliorations ont été réalisés sous la forme soit d'augmentation des traitements soit de paiement d'allocation de cherté de vie.

Ces allocations de cherté de vie sont de deux sortes, les premières, dénommées allocations de cherté de vie, ont fait l'objet de conventions successives, ratifiées par le Parlement (lois des 22 et 31 mars 1918). Leurs taux et les conditions dans lesquelles elles ont été attribuées ont été progressivement améliorés, au fur et à mesure de l'élévation du coût de la vie.

La dépense de ces allocations, primitivement à la charge de l'État, fut supportée par les réseaux à partir du jour où le relèvement des tarifs fut voté, et il fut convenu que les réseaux rembourseraient à l'État, par un prélèvement sur le produit du relèvement des tarifs, le montant des dépenses qu'il avait antérieurement payées de ce chef.

Les secondes, de date plus récente, et appelées « indemnités exceptionnelles de guerre », ont été accordées aux agents par application de l'arrêté du 13 janvier 1919. Elles sont à la charge de l'État, et leur taux n'a pas varié. Elles sont les mêmes que celles qui sont payées aux fonctionnaires des administrations de l'État.

Les allocations de cherté de vie proprement dites comprennent, d'une part, une allocation appelée allocation A, et d'autre part, une allocation pour charges de famille, dénommée allocation B.

L'allocation A fixée, (convention du 10 novembre 1916) à 15% de la partie du traitement ou salaire de l'agent qui n'excédait pas 1 200 fr et à 10% de la partie comprise entre 1 200 fr et 1 800 fr inclus, a été portée (avenant du 2 juillet 1917) de 15 à 30% pour la partie du traitement qui n'excédait pas 1 200 fr, de 10 à 15% pour la partie comprise entre 1 200 fr et 1 800 fr, et de 0 à 10% pour la partie comprise entre 1 800 fr et 3 600 fr.

D'autre part le minimum de l'allocation, d'abord fixé, en ce qui concerne les hommes majeurs, à 180 fr jusqu'au traitement de 3 600 fr (convention du 10 novembre 1916), fut porté successivement à 420 fr (avenant du 2 juillet 1917), puis élevé, jusqu'au traitement de 6 000 fr à 630 fr (avenant du 1er décembre 1917), enfin à 1 080 fr (convention du 12 mars 1918).

Au delà de ces traitements limites, de 3 600 fr puis de 6 000 fr, le taux de l'allocation décroit par une formule dite de raccord.

En ce qui concerne les femmes, le minimum de l'allocation, d'abord fixé à 90 fr pour les veuves ou divorcées (convention du 10 novembre 1916), fut porté successivement à 180 fr pour toutes les femmes majeures, et non plus pour les seules veuves ou divorcée (avenant du 2 juillet 1917), puis, à 630 fr, 540 fr, 420 fr, 180 fr (avenant du 1er décembre 1917) enfin à 1 080 fr, 720 fr, 540 fr ou 240 fr, suivant qu'il s'agissait de femmes remplissant, ou non, un service continu, et étant, ou non, soit chefs de famille, soit pensionnées de la Compagnie (convention du 12 mars 1918).

L'allocation B, d'abord fixée à 50 fr pour le premier enfant, à 100 fr pour le second et pour le troisième, à 200 pour chacun des suivants (convention du 10 novembre 1916) jusqu'au Traitement de 6 000 fr, fut portée, jusqu'au traitement, de 8 100 fr, à 150 fr pour chacun des deux premiers enfants, et à 300 fr pour chacun des suivants (convention du 12 mars 1918).

Les allocations exceptionnelles de guerre, payées aux agents depuis le 1er juillet 1918, par application de l'arrêté du 13 janvier 1919, comprennent également, d'une part, une allocation fixe et, d'autre part, un supplément exceptionnel de temps de guerre pour charges de famille.

La première, fixée à 720 fr, est versée à tous les agents majeurs et mineurs faisant partie du personnel permanent, temporaire ou intérimaire, jusqu'au traitement de 6 000 fr, s'ils sont célibataires sans charges et jusqu'au traitement de 8 000 fr, s'ils sont mariés sans enfant, jusqu'au traitement de 10 000 fr, s'ils sont mariés, veufs ou divorcés et ont un ou deux enfants, jusqu'au traitement de 12 000 fr. si, étant mariés, veufs ou divorcés, ils ont plus de deux enfants. On voit que cette allocation tient compte, dans une certaine mesure, des charges de famille.

L'allocation pour charges de famille a été fixée à 180 fr par an et par enfant.

Si l'on totalise ces diverses allocations (allocation de cherté de vie et allocations exceptionnelles de guerre) dont bénéficient actuellement les agents de chemins de fer, on constate qu'elles leur procurent un supplément de traitement très appréciable.

C'est ainsi que les agents sans charges de famille, dont le traitement ne dépasse pas 3 600 fr, reçoivent au total 1 800 fr d'indemnités de cherté de vie.

Ceux dont le traitement, est compris entre 3 600 fr et 4 800 fr, voient une partie de cette allocation (celle mise à la charge des réseaux) réduite de 15 fr par échelon de 100 fr. (les formules de raccord varient quelque peu de réseau à réseau. Nous avons pris, pour base des renseignements ci-dessus, les règles en vigueur à la Compagnie d'Orléans).

Un agent célibataire reçoit ainsi 1 740 fr si son traitement est de 4 000 fr et 1 665 fr si son traitement s'élève à 4 500 fr.

Les agents dont les traitements sont compris entre 4 800 fr et 6 000 fr, reçoivent 1 620 fr (900 fr d'allocation de cherté de vie et 720 fr d'allocation exceptionnelle de guerre).

Ceux dont le traitement dépasse 6 000 fr et n'excède pas 9 000 fr, voient la partie de l'allocation (celle mise à la charge des réseaux) réduite de 200 fr par échelon de 1 000 fr de traitement. D'autre part ils ne touchent plus l'allocation de 720 fr lorsque leur traitement dépasse 8 000 fr s'ils sont célibataires ou mariés sans enfants.

Un agent célibataire reçoit donc 1 220 fr si son traitement est de 7 000 fr, 1 200 fr si son traitement est de 8 000 fr, 300 fr si son traitement est de 9 000 fr.

Au delà du traitement de 8 000 fr et jusqu'à 10 000 fr seuls les agents mariés, veufs ou divorcés ayant deux enfants à leur charge, touchent une allocation de 720 fr.

Au delà du traitement de 10 000 fr et jusqu'à 14 000 fr (maximum), seuls les agents mariés, veufs ou divorcés ayant plus de deux enfants à leur charge, reçoivent une allocation de 720 fr.

Lorsque les agents sont chargés de famille ils reçoivent, en plus de ces allocations, 320 fr pour chacun des deux premiers enfants (150 fr au compte des Compagnies et 180 fr au compte de l'Etat) et 480 fr pour chacun des suivants (300 fr au compte des Compagnies et 180 fr au compte de l'État) jusqu'au traitement de 8 100 fr.

Au delà de ce traitement l'allocation est réduite. (La réduction porte uniquement sur la partie de cette allocation à la charge des Compagnies et est de 75 fr par échelon de 100 fr).

La situation des agents retraités a été, elle aussi, améliorée au cours de la guerre.

Le régime des allocations temporaires dont ils bénéficient a été fixé, par les arrêtés du Ministre des Travaux Publics des 13 janvier et 3 mars 1919, sur les mêmes bases que les allocations accordées aux agents retraités des administrations de l'État.

Aux termes de l'arrêté du 13 janvier, il a été accordé, avec effet rétroactif du 1er juillet 1918, et sous certaines conditions, aux agents retraités des grands réseaux, pensionnés pour ancienneté de service ou pour invalidité, et aux veuves et orphelins de ces agents titulaires d'une pension de reversion, une allocation temporaire de 20 fr par mois. Cette allocation de 20 fr par mois a été d'abord portée rétroactivement à 30 fr par mois, pour la période du 1er juillet au 31 décembre 1918, puis élevée, à dater du 1er janvier 1919, à 60 fr par mois (arrêté du 3 mars 1919).

En outre les conditions d'âge ont été abaissées et le maximum de pension, au-dessus duquel l'allocation temporaire n'est plus accordée, a été porté de 1 800 fr chiffre fixé par l'arrêté du 13 janvier 1919, à 4 000 fr (arrêté du 3 mars 1919).

Ainsi tous les retraités dont la pension n'excède point 4 000 fr, bénéficient de l'allocation pleine de 720 fr par an (60 fr par mois).

Ceux dont la pension est comprise entre 4 000 fr et 4 720 fr, reçoivent une allocation réduite, calculée de manière à porter leur allocation globale à 4 720 fr.

Le paiement de ces allocations est à la charge de l'État.

Autres mesures prises en faveur du personnel

D'autres mesures ont été prises par les Compagnies en faveur de leur personnel dont certaines ont eu une lourde influence sur leur situation financière, notamment les dispositions concernant les agents mobilisés.

Tous les réseaux ont alloué à ces agents, le plus souvent la totalité du traitement dont ils auraient bénéficié s'ils étaient restés à la Compagnie, et, dans presque tous les autres cas, une allocation au moins égale au demi-traitement.

Certaines Compagnies de Chemins de fer font bénéficier leurs agents décorés pour faits de guerre d'allocations destinées à récompenser leur dévouement patriotique.

La situation intéressante dans laquelle se trouve la majeure partie des familles des agents de chemins de fer morts pour la patrie n'a pas non plus échappé aux grands réseaux.

Indépendamment du paiement des pensions normales, certains d'entre eux ont accordé des allocations spéciales aux veuves et aux orphelins.

Parmi les mesures intéressant le personnel, rappelons qu'une loi du 22 novembre 1918 a garanti aux mobilisés la situation qu'ils occupaient avant la guerre. Cette loi était sans objet pour les agents des chemins de fer. Non seulement les Compagnies n'ont pas songé à priver de leur situation leurs agents mobilisés, mais elles ont même accepté de réintégrer les agents révoqués pour faits de grève avant la guerre, ainsi que les agents, révoqués depuis cette époque pour des faits de droit commun, qui se sont brillamment comportés à la guerre.

De plus afin que les agents mobilisés ne subissent pas, du fait de leur passage aux armées, un préjudice dans leur carrière et un retard par rapport à leurs camarades restés à la Compagnie, les réseaux ont décidé de leur tenir compte, à leur retour, des conditions d'avancement et d'augmentation dont ils auraient pu bénéficier s'ils étaient demeurés sur leur réseau.

Réserve d'emploi en faveur des mutilés de la guerre

Avant de clore ce chapitre du Personnel, il nous faut mentionner les mesures prises en faveur des mutilés de la guerre.

Conformément aux dispositions de la loi du 17 avril 1916, les réseaux de chemins de fer réservent, dans des conditions spéciales, chaque année et .jusqu'à l'expiration d'un délai de cinq ans à dater de la cessation des hostilités, un certain nombre d'emplois de début aux militaires et marins réformés n°1 ou retraités par suite de blessures ou d'infirmités contractées au service du Pays.

Les mesures relatives à l'application de la loi du 17 avril 1916 parles Compagnies de chemins de fer ont fait l'objet du titre II du Règlement d'Administration Publique du 14 juillet 1916.

Conformément aux dispositions des articles 22 et 23 de ce Règlement, un décret, en date du 9 avril 1917 et un arrêté, en date du 12 juillet de la même année, ont réglé les conditions d'application de la loi et du Règlement d'Administration Publique.

Le décret du 9 avril a arrêté, avec la plus grande précision, la liste des emplois mis à la disposition des mutilés ainsi que leur catégorie, les infirmités compatibles avec l'emploi, les conditions spéciales d'accès, la proportion à réserver aux mutilés par rapport aux vacances annuelles, ainsi que la proportion maximum de ces emplois à attribuer aux candidats par rapport à l'effectif total pour chaque catégorie d'emploi, enfin l'indication du traitement de début.

Les mutilés (exception faite de ceux qui faisaient partie des cadres des Compagnies avant la mobilisation, qui sont réintégrés de plein droit) sont nommés sur une liste dressée par l'autorité militaire, après examen subi devant les représentants du réseau choisi.